Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si, par extraordinaire, il est commis, c’est comme la sorcellerie, « le plus noir des crimes », c’est-à-dire le plus redoutable des porte-malheur. Mais normalement, il n’y a pas à le prévoir.

(S. N., pages 246-247.)

L’incestueux est sorcier.

Voici la curieuse exception à laquelle M. Smith fait allusion. « Lorsqu’un homme veut être tout particulièrement heureux dans une entreprise, il ne se borne pas à se procurer le charme convenable mais, se conformant en cela aux instructions du « docteur », avant de se mettre en route, il commet l’inceste avec sa sœur ou sa fille. Cela donne une très grande force à son talisman[1]. » Et de même dans un autre passage : « La personne qui commet un inceste est expressément appelée mulohzi (sorcier, celui qui trafique avec les forces interdites). Mais, dans certaines conditions, par exemple quand un homme veut un certain bonheur particulier, alors l’inceste n’est pas seulement permis, il est recommandé[2]. »

M. Junod mentionne également une circonstance exceptionnelle où le grand inceste est commis exprès, en vue de réussir dans une entreprise périlleuse. « Il y a quelques villages, près du Nkomati et d’autres fleuves, dont les habitants sont des spécialistes de la chasse à l’hippopotame, et possèdent la science ou art spécial appelé butimba.

« Pendant le jour, le chasseur pêche, tout en observant sans cesse les mouvements des hippos. Quand il voit que la saison propice est venue, et qu’il est prêt à entreprendre une expédition de chasse qui durera un mois, il fait venir à sa hutte sa propre fille, et il a des relations sexuelles avec elle. Cet acte incestueux, absolument tabou dans la vie ordinaire, a fait de lui un « meurtrier » ; il a tué quelque chose chez lui, il a ainsi acquis le courage de faire de grandes choses sur le fleuve ! Désormais, jusqu’à la fin de la campagne, il n’aura plus de relations sexuelles avec ses femmes.

  1. Smith and Dale, The ila-speaking peoples of Northern Rhodesia, I, p. 261.
  2. Ibid., II, 83.