Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jaguars peuvent « faire peur » aux abcès, selon l’expression des Indiens.

D’autre part, la « jeune fille des ancêtres », le « jeune homme des ancêtres », la « jeune fille de la savane », le « jeune homme de la terre », sont en quelque manière les prototypes de l’espèce, les premiers hommes, qui ont éprouvé dans leurs corps, pour la première fois, les maladies humaines ; à eux s’opposent les « gens d’aujourd’hui », les « enfants », qui doivent employer la formule.

La formule commence régulièrement par un récit mythique. Elle contient ensuite, non moins régulièrement, la phrase suivante, répétée un grand nombre de fois : « Ces gens d’aujourd’hui, ces enfants (c’est-à-dire les enfants des ancêtres, leurs descendants actuels) doivent prononcer la formule suivante : par exemple la première, s’ils ont des ennemis, pour que ceux-ci n’aient jamais de bravoure… la seconde, pour guérir des abcès. « De même que je souffre, de même ces gens d’aujourd’hui, ces enfants, ont à souffrir du même mal que moi. »

Pour « expliquer » un événement, qui se produit chez les « gens d’aujourd’hui », le mythe fait appel à un « précédent » du temps au delà duquel on ne remonte pas. S’ils ont des abcès, des vers intestinaux, des pustules sur le visage, s’ils sont mordus par des serpents, etc., c’est parce que, au temps des ancêtres, la même chose était arrivée au jeune homme mythique, à la jeune fille mythique, de qui ils descendent. — En second lieu, la formule à l’aide de laquelle le medicine-man va expulser le mal commence obligatoirement par le récit du mythe qui s’y rapporte. Cette récitation a, par elle-même, une efficacité magique. (Chez les Indiens Cuna, dit Nordenskiöld, quand on néglige de réciter le mythe relatif à un remède, celui-ci n’agit pas.) — Enfin, si la formule triomphe de la maladie, c’est qu’elle invoque le nom de la puissance qui, à l’époque originelle, a vaincu ce mal : le tigre mythique pour les abcès ; pour les maux de ventre, le chien mythique, etc. De même qu’alors chacun d’eux a eu raison d’un certain mal, de même aujourd’hui, pour échapper à ce même mal, ceux qui en souffrent n’ont qu’à prononcer la formule, et à invoquer tout haut leur nom. Aussitôt le mal et la douleur disparaissent.

Cette thérapeutique mystique, où le mythe et l’action