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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/193

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urine, excréments, sperme, sueur, etc. Il suffit de rappeler les célèbres articles de GlobusM. K. Th. Preuss a fait voir que les pratiques magiques exercées sur ces produits du corps agissent sur la personne elle-même, dont ils sont des parties intégrantes. De là le soin extrême que chacun prend, dans un grand nombre de sociétés, pour éviter que ses cheveux, ou ses rognures d’ongle, ou ses excréments, etc., ne tombent aux mains d’un tiers, qui pourrait avoir de mauvaises intentions. Disposer de cela, c’est disposer de sa vie. Les poils, sécrétions, etc., de l’individu sont lui-même, au même titre que ses pieds, ses mains, son cœur et sa tête. Ils lui appartiennent » au sens le plus plein de ce mot. Je les appellerai désormais ses « appartenances ».

À ces éléments de l’individualité il faut joindre les empreintes que le corps laisse sur un siège ou sur le sol, et en particulier les traces de pas. Ainsi, dans un conte populaire de l’île Kiwai, « quand les gens s’aperçurent de sa visite, il était déjà hors de portée. Tout ce qu’ils purent faire, ce fut de décharger leurs flèches dans les traces de ses pas, essayant ainsi de le blesser[1]. »

(A. P., pages 133-134.)

Les principes de vie.

Parmi les appartenances, séparables ou non, de l’individu, il en est auxquelles le primitif attribue une importance majeure, exceptionnelle. Leur intégrité lui paraît une condition sine qua non de sa sécurité et de sa vie. C’est d’elles qu’un ennemi essaiera d’abord de s’emparer. S’il ne peut pas les avoir à sa discrétion, il tâchera de les atteindre indirectement. S’il y réussit, et que l’individu le sache, celui-ci se sent condamné sans appel.

Telle était, par exemple, d’après les plus anciens témoignages, la « graisse des reins » (kidney fat) aux yeux des tribus australiennes de Victoria. « La plus terrible de leurs superstitions est qu’ils croient que, s’il n’était tué, l’homme ne mourrait jamais ; que s’il est malade, c’est que son corps a été ouvert, et qu’on lui a enlevé les reins et leur graisse,

  1. G. Landtman, The folk-tales of the Kiwai Papuans, p. 418.