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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/251

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Dès que nous y prêtons l’oreille, cette contrainte est suspendue, cette violence fait trêve. En un instant, d’un seul bond, les tendances refoulées regagnent le terrain perdu. Quand nous écoutons ces contes, nous abandonnons voluptueusement l’attitude rationnelle, nous ne sommes plus soumis à ses exigences. Nous n’ignorons pas qu’il faudra la reprendre tout à l’heure, ni même que nous ne la quittons pas pour tout de bon ; si ce devait être sérieux, nous y regarderions à deux fois. Mais tel quel, ce relâchement, tout le temps qu’il dure, nous flatte au plus profond de nous-mêmes. Nous nous sentons redevenir semblables aux hommes qui, jadis (comme aujourd’hui encore en tant de régions), regardaient la partie mystique de leur expérience comme aussi réelle, et même plus vraiment réelle, que la positive. C’est plus qu’une récréation. C’est une détente. La jouissance qu’elle nous procure va bien au delà du simple amusement.

Ainsi s’explique que les contes du folklore traversent à peu près intacts les civilisations et les siècles. Sur nous, en particulier, l’attrait qu’ils exercent est toujours neuf, et il ne court pas risque de s’affaiblir. Comme par un de ces coups de baguette dont leurs fées ne sont pas avares, ils nous replacent, sans transition, dans l’attitude ancestrale. Nous voyons alors revivre devant nous le monde mystérieux et fluide des plus anciens mythes. Si éloignés que nous nous croyions de la mentalité qui les a produits, ce spectacle nous captive et nous retient,

et moi-même,
Si Peau-d’âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.

(My. P., pages 312-315 et 317-319.)
FIN