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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/250

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fluide de la mentalité primitive, de ce qu’ils nous introduisent au milieu des êtres extraordinaires qui ne sont possibles que dans ce monde-là.

En fait donc, ce qui aurait besoin d’être expliqué, ce n’est pas que, dans tant de sociétés plus ou moins primitives, on croie, en toute simplicité, à la vérité de la plupart de ces contes, mais, au contraire, pourquoi, dans la nôtre, on a, depuis longtemps, cessé d’y croire.

La raison en est, sans doute, au moins pour une part, dans le caractère rationnel de la civilisation que l’antiquité classique a établie et nous a léguée. De l’expérience tenue pour valable se sont trouvées peu à peu exclues les données incontrôlables et invérifiables, c’est-à-dire celles de l’expérience mystique, par où se révèle l’action des puissances invisibles et surnaturelles. En d’autres termes, le domaine de la réalité tendait, de façon de plus en plus précise, à coïncider avec celui des lois de la nature et de la pensée. Ce qui se trouve au delà de ces frontières sera désormais rejeté comme impossible (l’expérience proprement religieuse mise à part). C’est dire que, pour des esprits qui s’orientaient en ce sens, qui rompaient ainsi avec la mentalité primitive, le monde mythique, et le monde du folklore qui n’en est pas vraiment distinct, devaient cesser de faire partie du réel.

Toutefois, l’histoire montre que cette assiette mentale est loin d’être commune. Elle ne s’est établie que dans quelques sociétés. Elle leur a coûté des siècles d’efforts. Là même, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit universelle, ou inébranlable. Qu’est-ce à dire, sinon qu’elle exige une stricte discipline, et que l’esprit humain, s’il obéit à ses tendances originellement dominantes, n’est guère sensible aux impossibilités du monde mythique, et ne songe pas à exclure du réel les données de l’expérience mystique ?

Ainsi, cette exclusion, bien que rationnelle, ou plutôt parce que rationnelle, comporte, même là où elle est habituelle, une contrainte, et, selon l’expression courante, un refoulement. Ces tendances, laissées à elles-mêmes, pousseraient l’esprit dans une tout autre voie. Pour y résister sans faiblir, il lui faut surveiller jusqu’à ses moindres démarches, et se faire constamment une sorte de violence.

Là se trouve la raison profonde du charme qui l’attire vers les contes du folklore, et la séduction de leur langage,