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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/36

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des raisons le plus souvent mystiques, et sans rapport avec les caractères objectifs des êtres.

(My. P., pages 61-62.)

Les crocodiles sont des hommes…

« Un Mukongo me dit un jour : « Il y a quatre espèces d’hommes : les blancs, les noirs, les ba-ngandu (crocodiles) et les Portugais[1]. » Le père van Wing explique dans une note que « les crocodiles sont rangés ici parmi les hommes, parce que, selon une croyance commune, de méchants sorciers se métamorphosent en ces monstres pour dévorer des hommes ». C’est pourquoi, pour les désigner, l’indigène a le choix entre « homme » et « crocodile », puisqu’ils peuvent prendre à volonté l’une ou l’autre forme. En les appelant ba-ngandu (crocodiles), il ne les met pas moins, en même temps, au nombre des êtres humains, dont ils constituent une classe, comme les Portugais.

(A. P., page 39.)

…Mais pas les Européens.

Un fait recueilli par le Dr Fortune fait bien voir comment, dans l’esprit des Papous de Dobu, des participations entre les êtres suppléent en quelque mesure aux classifications que notre pensée établit à l’aide de concepts. En même temps, il éclaire curieusement l’idée qu’ils se font de l’homme.

Leur langue possède un mot : tomot, pour désigner « ce qui appartient à l’homme, ce qui est humain ». Or ce mot ne s’applique pas aux blancs. Ils ne sont donc pas compris dans la catégorie des êtres humains. Cependant les Dobuens ne peuvent pas méconnaître que, par de nombreux et importants caractères, les blancs sont des hommes comme eux. Ils auraient dû, semble-t-il, élargir l’extension de leur terme tomot, afin d’y faire entrer ces hommes inconnus jusque-là, bien que leur peau soit d’une couleur imprévue, et qu’ils ne parlent pas la langue de Dobu. Mais l’idée ne leur en est

  1. R. P. van Wing, Études Bakongo, p. 113.