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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/84

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hommes. Savoir et pouvoir qu’il faut entendre à leur façon. Il s’agit du savoir qu’ils ambitionnent pour eux-mêmes : non pas de pénétrer la nature des choses et d’en déterminer les lois, mais de connaître d’avance ce qui doit arriver d’heureux ou de malheureux, si une entreprise réussira ou échouera, et surtout les « dispositions » favorables, ou non, des êtres visibles et invisibles qui les entourent. C’est parce que certains animaux « savent » que dans tant de sociétés on les consulte avidement. On attend d’eux des présages et des augures. Quant à leurs pouvoirs, ceux qui font la plus vive impression sur les indigènes ne sont pas les objets ordinaires de notre admiration le vol des oiseaux, l’agilité des poissons, etc. Ce sont là choses qui vont de soi, et auxquelles il n’y a pas lieu de s’arrêter, comme la lumière du jour et le cours régulier des saisons. Sans doute, l’indigène voudrait bien s’approprier ces précieuses facultés qu’il envie. Parfois, il croit y parvenir en se nourrissant de la chair de l’animal, comme le guerrier qui pense s’incorporer la force et le courage de son ennemi en même temps qu’il en mange le cœur, le foie ou la cervelle. Dans plus d’un mythe, nous voyons le héros se coller des ailes sur les épaules, ou avaler une plume d’oiseau, afin de pouvoir voler. Mais, en général, c’est aux pouvoirs mystérieux dont il devine la présence chez un animal que l’indigène attache le plus d’importance

Sur ce chapitre, mythes, légendes et contes sont intarissables. Les quelques citations qui suivent suffiront peut-être ici. Jadis, dans les tribus de l’Australie du Sud, l’ours était regardé comme un animal particulièrement sage et avisé. (On sait que l’ours est l’objet de croyances analogues en Asie septentrionale, chez les Aino, et en beaucoup de régions de l’Amérique du Nord.) « Je me trouvais avec un indigène très connu, de Western Port, à la poursuite de cinq autres noirs. Pendant quelques jours, nous avions perdu leur piste, dans une partie du pays où nous pensions qu’ils avaient nécessairement dû passer. Nous suivions un cours d’eau. Au bout de quelques milles, au moment où nous passions, nous entendîmes un ours. Le noir s’arrêta, et un dialogue s’engagea. Je restais là, à regarder tour à tour l’ours et l’homme. À la fin, l’indigène revint près de moi, et me dit : « Je suis par trop stupide ; l’ours me dit de vous faire prendre