Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 103.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’une manière générale, le rationalisme de Justin paraît subir un recul chez Tatien ; c’est ainsi que l’esprit, le pneuma qui reçoit la révélation n’existe que chez les purs et qu’il n’est pas une partie de l’âme, simple matière pénétrante et subtile qui ne se distingue de l’âme des bêtes que par la parole articulée, mais qu’il lui est superposé[1].

Tout au contraire, le rationalisme de Justin se retrouve accru chez Athénagore ; le monothéisme qu’il trouve chez les poètes, chez les Pythagoriciens, chez Platon indique selon lui une inspiration divine commune à Moïse et aux philosophes ; Platon parvient même à concevoir la trinité. Il reste cependant que Platon, qu’il connaît d’ailleurs beaucoup mieux que Justin, est un Platon chrétien, que le Bien ou l’être immuable par lequel il dépeint Dieu, n’a que le nom de commun avec la première hypostase plotinienne et ressemble beaucoup plus au Dieu des stoïciens ; si l’on songe avec quelle vigueur le néoplatonisme païen exclut la religiosité stoïcienne, on appréciera mieux la portée de ce platonisme chrétien, où se retrouve toute la théologie des stoïciens, avec les arguments (mis en forme syllogistique) fondés sur la providence et la beauté du monde.


IV. — Le Gnosticisme et le manichéisme.


À l’époque même des apologistes se développaient dans les milieux chrétiens les systèmes dits gnostiques, qui nous sont surtout connus par les réfutations qu’en ont faites les Pères de l’Église de la génération suivante, en particulier l’auteur inconnu des Philosophumena, Irénée dans son Contre les Hérétiques, Tertullien dans le Contre Marcion, sans oublier la Pistis Sophia, écrit gnostique en langue copte datant du iiie siècle, mais traduisant des écrits grecs plus anciens.

D’après une thèse des Philosophumena, généralement acceptée jusqu’à nos jours, les systèmes gnostiques résulteraient d’une sorte d’invasion de la philosophie grecque dans la pensée chrétienne, et les sectes grecques seraient finalement responsables de ces hérésies chrétiennes qui auraient donc, comme aboutissant de la pensée

  1. Puech, Les Apologistes grecs.