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grecque, un intérêt direct pour l’histoire de la philosophie. Les travaux contemporains qui ont su dégager la pensée gnostique véritable des exposés plus ou moins fantaisistes où la cachent les Pères de l’Église laissent au contraire l’impression que la philosophie grecque est en elle pour bien peu de chose. Ces systèmes n’en gardent pas moins un intérêt de premier ordre, parce qu’ils donnent, nous allons le voir, comme la contre-épreuve d’une vérité qui se dégage, croyons-nous, de tout notre exposé de la philosophie grecque : l’hellénisme est caractérisé par l’éternité de l’ordre qu’il admet dans les choses, un principe éternel d’où découlent éternellement les mêmes conséquences. Or le thème commun des systèmes gnostiques, c’est la rédemption ou délivrance du mal qui implique avec elle la destruction, et la destruction définitive de l’ordre dans lequel nous vivons. Pour l’Hellène le mal disparaît par la contemplation de l’univers dont il fait partie ; pour le gnostique il disparaît soit par la suppression de cet univers, soit au moins par l’élévation de l’âme au-dessus et en dehors de lui.

Basilide, Valentin et Marcion, tels sont les trois gnostiques les plus connus qui vivaient vers le milieu du second siècle. Mais c’est chez Valentin seulement qu’apparaît, semble-t-il, une conception d’ensemble de l’univers des gnostiques. Basilide, lui, est avant tout un moraliste, « obsédé par le problème du mal et celui de la justification de la providence[1] ». « Tout ce qu’on voudra, disait-il, plutôt que de mettre le mal sur le compte de la Providence » ; et, pour expliquer les souffrances des martyrs, il est prêt à accepter qu’ils ont péché dans une vie antérieure. Il considère d’ailleurs le péché comme provenant de la passion, et la passion comme une sorte d’esprit mauvais qui s’ajoute à l’âme du dehors et la souille. Ces vues conduisaient à une sorte de dualisme moral, dont on trouve l’analogue chez Platon.

Mais un homme d’un esprit plus métaphysique que Basilide, Valentin, devait en déduire les conséquences les plus contraires au platonisme. Valentin cherche en effet dans l’origine de l’homme l’explication du dualisme qui se rencontre en lui.

Ce dualisme entre l’esprit et la chair correspond à un dualisme plus profond entre le créateur de ce monde, le démiurge, escorté

  1. E. de Faye, Gnostiques et Gnosticisme, p. 24-26.