Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/50

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un cri de pitié fait tomber les murailles de la citadelle ; le sentiment de justice exalte les misérables et exige le partage des souffrances humaines : l’arc-en-ciel de l’amour et de la paix apparaît aux mortels. Mais bientôt la loi inexorable de toute vie impose de nouveau la cruauté nécessaire. La civilisation ressemble à un vainqueur dégouttant de sang, qui traîne derrière son char les vaincus et les captifs.

L’État n’a pas d’autre mission que celle d’assurer la sanglante victoire de la civilisation aristocratique. Il ne doit sa naissance qu’à la violence brutale des conquérants, et n’a pas en lui-même sa raison d’être ; l’enthousiasme qu’il inspire à ses naïfs adorateurs n’a que l’avantage de faire oublier un instant à la masse les misères de sa basse condition. L’État est un abri qui permet l’éclosion du génie. L’État grec favorisait la naissance de l’artiste, donnait aux spectateurs l’éducation nécessaire, organisait les fêtes. Pour que l’artiste puisse naître, il faut qu’il y ait une classe dispensée du travail servile ; pour que l’œuvre d’art puisse naître, il faut qu’elle soit protégée par la vertu magique de l’État. L’histoire politique de la Grèce n’est qu’une suite continue de scènes barbares ; mais ce qui justifie cette longue et terrible Iliade, c’est la beauté d’Hélène.

Nietzsche s’emporte contre les libéraux et les optimistes modernes qui veulent mettre un terme aux luttes héroïques : il condamne les idées du XVIIIe siècle et de la Révolution française, qui sont selon