moralisme. Si d’une part tout individu est un être absolument différent des autres, rebelle à toute définition et à toute classification, il est évidemment impossible de le juger en le comparant à un type préétabli et de l’apprécier en le ramenant à une unité fixe. Mesurer les individus en leur appliquant la même toise morale, c’est leur infliger un supplice analogue à celui que subissaient les malheureux sur le lit de Procuste. Il est aussi naïf en tout cas d’imposer à une fille comme la Marie des Mystères de Paris[1] les vertus morales, que de juger le lion à sa générosité ; au lieu de tenir compte de sa ressemblance avec l’homme, on ferait mieux de se rappeler que par sa nature le lion est un animal particulier. Il n’y a pas de vertus communes à toutes les espèces animales ; or, chaque individu est à vrai dire seul de son espèce. Aucune bête ne s’efforce de réaliser le type de son espèce ; aucune brebis ne se donne du mal pour être une vraie brebis ; aucun chien ne cherche à être un vrai chien. De même, nous n’avons pas besoin de nous demander si nous sommes vraiment des hommes. Stirner n’entend pas nous conseiller de ressembler aux animaux : d’abord parce qu’on pourrait trouver chez les animaux des modèles moraux et nous imposer ainsi de nouveaux devoirs en nous ordonnant par exemple d’égaler le
- ↑ Stirner, Kleine Schriften, p. 95. Les Mystères de Paris jouent un grand rôle dans la littérature allemande vers 1845 ; il en est constamment question dans les polémiques de Bauer et de Marx.