Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/77

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peser les forces : être juste est difficile et exige beaucoup d'expérience, de bonne volonté et surtout d'intelligence[1].

Nietzsche conçoit le droit comme une tradition légale, que les esprits libres ne sont pas plus obligés de respecter qu'ils ne respectent la tradition morale : mais le souci constant qu'il a dans sa deuxième période de ménager la transition entre le passé et l'avenir, dicte au philosophe des sentences d'une indulgence prudente : il juge qu'une certaine stabilité est nécessaire, tandis que Stirner voit dans toute stabilité la mort de l'esprit et l'esclavage du Moi ; aussi, Nietzsche souhaite-t-il que la diplomatie ait assez de tact et de finesse pour adapter à chaque moment le droit à la situation nouvelle qui résulte des modifications qu'ont subies les forces en présence. Nietzsche se place au même point de vue pour juger les questions de politique intérieure : tandis que Stirner conseille aux prolétaires de faire valoir leur force sans se préoccuper d'un droit quelconque, de ne pas plus reculer devant la contrebande ou le vol organisé que devant la grève générale, Nietzsche voit dans le socialisme une force naturelle qu'il s'agit d'endiguer et d'exploiter au profit du progrès humain. Il estime, comme Stirner, que la question sociale est aujourd'hui une question de puissance, et non une question de droit[2] ; mais tandis que Stirner ne souhaite pas

  1. Nietzsche, Werke, III, 109.
  2. Nietzsche, Werke, II, 330.