Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/87

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inter pares ; le caractère unique des individus n’est pour lui qu’un argument contre l’égalité. Stirner, au contraire, ne reconnaissait pas de pairs ; la disparité était pour lui un argument contre l’autorité.

De même Nietzsche continue dans sa troisième période à réhabiliter l’égoïsme trop rabaissé par le christianisme et la morale de la pitié ; mais il ne s’agit pas de l’égoïsme imprescriptible, antérieur et supérieur à toute autre considération, dont parle Stirner ; les meilleurs seuls ont le droit d’être égoïstes. Nietzsche déclare expressément que la valeur de l’égoïsme varie avec la valeur physiologique de l’individu égoïste ; il est excellent ou méprisable, selon qu’il favorise l’ascension ou la décadence de la vie[1]. Zarathustra avait déjà pesé dans sa balance l’égoïsme en même temps que la volupté et le désir de domination ; il avait maudit le lâche égoïsme des faibles et béni l’égoïsme sain des forts.

La liberté aussi, qui, selon Stirner était propriété intangible du Moi, doit être selon Nietzsche un privilège. Avant de conférer ce privilège, Zarathustra demande à ses disciples de prouver qu’ils ont des titres à la liberté, qu’ils ont le droit et la force de la conquérir[2]. Il serait bien inutile de donner la liberté à ceux dont l’existence même serait superflue s’ils ne servaient d’instruments dans les mains d’autrui.

  1. Nietzsche, Werke, VIII, 140.
  2. Nietzsche, Werke, VII, p. 91.