Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/88

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Tandis que Stirner veut, en isolant l’individu, supprimer la domination des castes, Nietzsche affime de nouveau la nécessité d’une classe de maîtres et d’une classe d’esclaves. Chacune de ces classes a sa morale propre qui ne convient pas à l’autre. Nietzsche veut élargir le fossé qui sépare ces deux classes ; bien loin de justifier, comme les démocrates, le gouvernement par l’intérêt et la souveraineté du peuple, il affirme que la classe inférieure ne doit être qu’un piédestal pour la classe supérieure. L’aristocratie est la raison d’être de la masse, comme la statue est la raison d’être du socle qui la supporte. La seule organisation qu’admet Stirner, le Verein, ne ressemble en rien à cette société aristocratique rêvée par Nietzsche : il détruit toute hiérarchie et toute autorité ; il n’est qu’un moyen au service du Moi égoïste. Le Vereinse distingue précisément des sociétés anciennes (Gesellschaft) en ce qu’il est un libre contrat entre des individualités qui ne sacrifient aucune parcelle de leur propriété ni de leur puissance ; les égoïstes fondateurs du Verein ne se laissent enchaîner ni par les liens du sang, ni par aucun sentiment de piété ou de fidélité.


b) L’anarchie et la discipline


Selon Stirner, le Moi est un souverain absolu qui ne connaît pas plus l’obéissance que Dieu lui-même ; selon Nietzsche, la nature ordonne aux individus,