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Page:L’Égyptienne, année 4, numéro 36, mars-avril 1928.djvu/29

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toutes les jeunes filles — soient-elles parisiennes ou paysannes —, un petit, coin aimé où elle s’isolait pour rêver, pleurer ou se souvenir…

Elle demeura longtemps songeuse, regardant sans les voir, les splendeurs du matin. Tout se confondait devant ses beaux yeux d’Orientale aimante et sur la longue ligne harmonieuse des montagnes environnantes, dans les vallées creusées par les hauteurs voisines, dans l’air bleu du matin, partout devant elle et autour d’elle, une main invisible traçait en lettres lumineuses un nom qu’elle avait mille fois lu et relu pendant ses rêves d’insomnie : Fouad !

Fouad… elle murmura ce nom en souriant, et ayant jeté un manteau sur ses épaules, elle sortit de sa chambre et de la maison et s’en fut rêver sur les terres de son père.

La petite cloche du village tintait, appelant à la prière, et les pieux maronites, leur rosaire à la main, passaient devant la jeune fille pour se rendre à la messe.

Très lasse, Lamia s’assit sur un rocher caché par des arbres touffus, au loin de la route. Elle se sentait heureuse, mais elle avait le cœur serré. Quelque chose de très lourd y pesait, et ce quelque chose de si lourd, ce fardeau, c’était un nom, un nom chéri ; elle se le répéta encore tout bas : Fouad !

Une voix profonde et douce répondit : « Tu m’appelles ? »

La jeune fille rougit en voyant Fouad à quelques pas d’elle. Mais le jeune homme s’approcha et s’étendant à ses pieds, dit :

— « Ô Lamia ! toutes les heures de la nuit je les ai passées sous ta fenêtre. J’aime ta maison parce qu’elle est tienne et parce que tu l’habites. »

— « Moi, j’ai passé la nuit à lire ton nom qui luisait dans l’obscurité. Il est si joli, ton nom ! », dit simplement la jeune fille.

— « Très joli, reprit Fouad, quand lu le prononces. Mais le tien est si doux ! Il chante à ma mémoire ce que ton amour chante à mon cœur : la divine chanson de la Jeunesse et du Rêve ! »

Lamia souriait. Une béatitude céleste emplissait son être. Fouad continua :

— « Ton sourire chante aussi la chanson des Fleurs qui ne peuvent pas mourir… Et tes yeux ! Ah ! une seule fois dans ma vie j’ai vu des yeux… non, c’est indéfinissable ! et ces yeux-là sont tiens… Ils ne chantent pas, eux, ils murmurent ce que les vagues mystérieuses murmurent à la lumière du jour et à l’obscurité de la nuit. C’est magique et incompréhensible ! »

— « Et les tiens, dit Lamia, tes yeux si grands, si doux ! tes yeux bleu-vert à la fois terribles, comme la mer en fureur, et calmes, comme les flots en méditation. Ah ! j’ai rêvé de tes yeux avant de les voir ! »

— « À ce soir donc, dit-il, veux-tu ? »

— « Je veux bien », dit-elle presque sans hésitation.