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ment des nerfs font que le mouvement des esprits qui r’ouvrent, par exemple, les traces qui vous font penser à un homicide, ne r’ouvrent pas nécessairement celles qui y sont liées et qui vous le représentaient comme un crime ; et, en général, il ne se présente point à vous tout ce que vous pouvez penser sur chaque sujet, c’est pourquoi on se croit libre en veillant, et non pas en dormant, quoique dans l’un et l’autre état l’ame soit également déterminée par les dispositions du cerveau.

On ne croit pas que les fous soient libres, parce que toutes les dispositions de leur cerveau sont si fortes pour de certaines choses qu’ils n’en ont point du tout, ou n’en ont que d’infiniment faibles qui les portent aux choses contraires, et que par conséquent ils n’ont point le pouvoir de délibérer ; au lieu que dans les personnes qui ont l’esprit sain, le cerveau est dans un certain équilibre qui produit les délibérations.

Mais il est évident qu’un poids de cinq livres emporté par un poids de six, est emporté aussi nécessairement que par un poids de mille livres, quoiqu’il le soit avec moins de rapidité ; ainsi ceux qui ont l’esprit sain, étant déterminés par une disposition du cerveau qui n’est qu’un peu plus forte que la disposition contraire, sont déterminés aussi nécessairement que ceux qui sont entraînés par une disposition qui n’a été ébranlée d’aucune autre ; mais l’impétuosité est bien moindre dans les uns que dans les autres, et il paraît qu’on a pris l’impétuosité pour la nécessité et la douceur du mouvement pour la liberté. On a bien pu, par le sentiment intérieur, juger de l’impétuosité ou de la douceur du mouvement ; mais on ne peut que par la raison, juger de la nécessité ou de la liberté.

Quant à la morale, ce système rend la vertu un pur bonheur, et le vice un pur malheur, il détruit donc toute la vanité et toute la présomption qu’on peut tirer de la vertu, et donne beaucoup de pitié pour les méchans sans inspirer de haine contre eux. Il n’ôte nullement l’espérance de les corriger ; parce qu’à force d’exhortations et d’exemples, on peut mettre dans leur cerveau les dispositions qui les déterminent à la vertu, et c’est ce qui conserve les lois, les peines et les récompenses.