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tion même. Ainsi l’ame a cru se déterminer elle-même, parce qu’elle ignorait et ne connaissait en aucune manière le principe étranger de sa détermination.

On sait qu’on fait toujours ce que l’on veut, mais on ne sait pas pourquoi on le veut : il n’y a que les Physiciens qui le puissent deviner.

En second lieu, on a délibéré, et parce qu’on s’est senti partagé entre vouloir et ne pas vouloir, on a cru, après avoir pris un parti, qu’on eût pu prendre l’autre ; la conséquence était mal tirée ; car il pouvait se faire aussi bien qu’il fût survenu quelque chose qui eût rompu l’égalité qu’on voyait entre les deux partis, et qui eût déterminé nécessairement à un choix ; mais on n’avait garde de penser à cela, puisqu’on ne sentait pas ce qui était survenu de nouveau et qui déterminait l’irrésolution ; et faute de la sentir, on a dû croire que l’ame s’était déterminée elle-même, et indépendamment de toute cause étrangère.

Ce qui produit la délibération, et ce que le commun des hommes n’a pu deviner, c’est l’égalité de force qui est entre deux dispositions contraires du cerveau, et qui donne à l’ame des pensées contraires ; tant que cette égalité subsiste, on délibère ; mais dès que l’une des deux dispositions matérielles l’emporte sur l’autre par quelque cause physique que ce puisse être, les pensées qui lui répondent se fortifient et deviennent un choix. De là vient qu’on se détermine souvent, sans rien penser de nouveau, mais seulement parce qu’on pense à quelque chose avec plus de force qu’auparavant ; de là vient aussi qu’on se détermine sans savoir pourquoi. Si l’ame s’était déterminée elle-même, elle devrait toujours en savoir la raison. Dans l’état de veille, le cerveau est plein d’esprits et les nerfs sont tendus, de sorte que les mouvemens se communiquent d’une trace à l’autre qui lui est liée. Ainsi, comme vous n’avez jamais ouï parler d’un homicide que comme d’un crime, dès qu’on vous y fait penser, le même mouvement des esprits va r’ouvrir les traces qui vous représentent l’horreur de cette action ; et en un mot, sur quelque sujet que ce soit, toutes les traces qui y sont liées se r’ouvrent, et vous fournissent par conséquent toutes les différentes pensées qui peuvent naître.

Mais, dans le sommeil, le défaut d’esprit et le relâche-