Page:L’Œuvre, numéro 6532, 19 août 1933.djvu/8

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soulevée. Au centre se voyaient les profondes empreintes de la bête aux sabots évasés et partout alentour les traces, plus légères, des pattes de loups. Une partie d’entre eux, pendant que les autres harcelaient la proie, s’étaient couchés à peu de distance pour se reposer. L’impression des corps allongés dans la neige était parfaitement nette et semblait toute récente. Un des loups, surpris par un bond désespéré de la bête, avait été piétiné à mort, comme en témoignaient quelques os bien nettoyés.

De nouveau, ils cessèrent de soulever leurs raquettes en arrivant à une seconde halte. Ici l’énorme animal avait soutenu une lutte à outrance. Deux fois, il avait été abattu, et deux fois, après s’être débarrassé de ses assaillants, il s’était redressé sur ses pattes. Il y avait longtemps que celui-là avait accompli sa tâche, et néanmoins il tenait encore à la vie. Zing-ha disait que c’était chose bien étrange qu’un élan, une fois abattu, ait pu se relever ; mais celui-ci l’avait certainement fait. Le shaman, quand on lui raconterait l’histoire, y verrait sans doute des pronostics merveilleux.

Une fois encore, ils s’arrêtèrent à un endroit où l’élan avait tenté de grimper la côte pour gagner la forêt. Mais ses ennemis l’avaient assailli par derrière, jusqu’à ce que, s’étant cabré et renversé sur eux, il en écrasât deux dans la neige profonde. Il était clair que la mise à mort était imminente, car les deux cadavres étaient intacts. Ils rencontrèrent encore, sans s’y arrêter, deux haltes peu distantes l’une de l’autre et qui avaient été brèves. Maintenant, la piste était rouge, et les vastes et nettes foulées du colosse étaient devenues courtes et maladroites. Puis ils entendaient les premiers bruits de la bataille, non pas le chœur à pleine voix de la poursuite, mais l’aboi bref et brisé indiquant le corps à corps, dent contre chair. Zing-ha se mit à ramper à contre-vent, le ventre dans la neige, et Koskoush en fit autant, lui, le futur chef de la tribu. Ensemble ils écartèrent les branches basses d’un jeune sapin et regardèrent. Et ce qu’ils virent était la fin du drame.

La scène, comme toutes les impressions de jeunesse, restait profondément gravée dans son esprit, et ses yeux morts la virent se dérouler aussi nettement que dans ce lointain passé. Koskoush s’en étonna, car dans les jours qui avaient suivi, lorsqu’il était devenu meneur d’hommes et chef de conseil, il avait accompli des exploits assez grands pour que son nom servît de malédiction dans la bouche des Pellys, sans parler du blanc inconnu qu’il avait tué en combat singulier à coups de couteau.