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INTRODUCTION

« Dans le carême de 1736, ma mère écrivit au docteur que, devant bientôt partir pour Pétersbourg et désirant me voir avant son départ, elle le priait de me conduire à Venise pour trois ou quatre jours. Cette invitation le mit en devoir de penser, car il n’avait jamais vu ni Venise ni la bonne compagnie, et cependant il ne voulait paraître neuf en rien. Dès que nous fûmes prêts de partir pour Padoue, toute la famille nous accompagna au burchiello.

« Ma mère le reçut avec la plus noble aisance ; mais, étant belle comme le jour, mon pauvre maître se trouva fort embarrassé, n’osant la regarder en face et forcé cependant de dialoguer avec elle ; elle s’en aperçut, et pensa s’en amuser, à l’occasion. Quant à moi, j’attirai l’attention de toute la coterie ; car, m’ayant connu presque imbécile, chacun était émerveillé de me voir si dégourdi dans le court espace de deux ans. Le docteur jouissait, voyant qu’on lui attribuait tout le mérite de ma métamorphose.

« La première chose qui choqua ma mère fut ma perruque blonde, qui criait sur mon visage brun, et qui faisait le plus cruel désaccord avec mes sourcils et mes yeux noirs. Le docteur interrogé par elle pourquoi il ne me faisait pas coiffer en cheveux, répondit qu’avec la perruque sa sœur pouvait plus facilement me tenir propre. Cette réponse naïve fit rire tout le monde ; mais le rire redoubla quand, après lui avoir demandé si sa sœur était mariée, prenant la parole, je répondis pour lui que Bettine était la plus jolie fille du quartier et qu’elle n’avait que quatorze ans. Ma mère ayant dit au docteur qu’elle ferait à sa sœur un joli présent, mais à condition qu’elle me coifferait en cheveux ; il promit que l’on ferait à sa volonté. Ensuite ma mère fit appeler un perruquier, qui m’apporta une perruque en harmonie avec ma couleur.