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L’ŒUVRE DE GIORGIO BAFFO

faite pour ma raison pure et simple. Ce fut le premier vrai plaisir que j’ai goûté dans ma vie. Sans M. Baffo ce moment eût été suffisant pour avilir mon entendement ; la lâcheté de la crédulité s’y serait introduite. L’ignorance des deux autres aurait à coup sûr émoussé en moi le tranchant d’une faculté pour laquelle je ne sais pas si je suis allé bien loin ; mais je sais que c’est à celle-là seule que je dois tout le bonheur dont je jouis quand je me trouve vis-à-vis de moi-même. »

Casanova raconte ensuite comment grâce à Baffo, il sortit de chez l’Esclavonne :

« Le docteur qui m’aimait, me prit un jour tête-à-tête dans son cabinet, et me demanda si je voulais me prêter aux démarches qu’il me suggérerait pour sortir de la pension de l’Esclavonne et entrer chez lui. Me trouvant enchanté de la proposition, il me fit copier trois lettres que j’envoyai, l’une à l’abbé Grimani, la seconde à mon ami Baffo et la troisième à ma bonne grand’mère. Mon semestre allant finir et ma mère n’étant pas alors à Venise, il n’y avait pas de temps à perdre. Dans ces lettres, je faisais la description de toutes mes souffrances, et j’annonçais ma mort, si on ne me retirait pas des mains de l’Esclavonne pour me mettre chez mon maître d’école, qui était disposé à me prendre ; mais il voulait deux sequins par mois.

« M. Grimani, au lieu de me répondre, ordonna à son ami Ottaviani de me réprimander de m’être laissé séduire ; mais M. Baffo alla parler à ma grand’mère, qui ne savait pas écrire, et dans une lettre qu’il m’adressa il m’annonça que dans peu de jours je serais plus heureux. »

Peu après Casanova montra devant Baffo une grande présence d’esprit littéraire qui dut réjouir extrêmement le poète priapique :