Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/39

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« Elle est vaillante et plus belle de beaucoup, et je ne te cacherai pas son nom fameux : c’est Bradamante, celle qui t’a ravi autant d’honneur que tu en as jamais gagné au monde. » Après qu’il eut ainsi parlé, il partit à bride abattue, laissant le Sarrasin peu joyeux, et ne sachant plus que dire ou que faire, la face tout allumée de vergogne.

Longtemps il réfléchit en vain sur le cas advenu, et finalement, songeant qu’il avait été battu par une femme, plus il y pensait, plus il ressentait de douleur. Il monta sur l’autre destrier, silencieux et muet, et prit Angélique en croupe, la réservant à plus doux usage en un lieu plus tranquille.

Ils n’eurent pas marché deux milles, qu’ils entendirent la forêt dont ils étaient entourés, résonner d’une telle rumeur, d’un tel vacarme, qu’il sembla que de toutes parts le pays désert tremblait. Et peu après, un grand destrier apparut, couvert d’or et richement harnaché, qui sautait buissons et ruisseaux, et faisait grand fracas à travers les arbres et tout ce qui arrêtait son passage.

« Si les rameaux entremêlés et l’air obscur — dit la dame, — à mes yeux ne font pas obstacle, c’est Bayard, ce destrier qui, au beau milieu du bois, avec une telle rumeur se fraye un chemin. C’est certainement Bayard ; je le reconnais. Eh ! comme il a bien compris notre embarras. Un seul cheval pour deux ne serait pas suffisant, et il vient juste à point pour nous satisfaire. »

Le Circassien descend de cheval et s’approche du destrier, pensant mettre la main sur le frein.