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CHANT II.

Contre l’avis de tout pilote, à cause du grand désir qu’il avait de presser son retour, il prit la mer qui était troublée et furieuse et semblait menacer d’une grande tempête. Le vent s’indigne de se voir méprisé de ce hautain ; par une épouvantable tempête, il soulève la mer avec une telle rage autour du navire, qu’il l’envoie baigner la pointe des huniers.

Les marins expérimentés carguent aussitôt les grandes voiles, et pensent à virer de bord et à retourner dans le port d’où, par une mauvaise inspiration, ils ont fait sortir le navire. « Il ne me convient pas — dit le vent — de permettre une telle licence, car vous vous l’êtes vous-mêmes enlevée. » Et il souffle, et il crie, et il les menace de naufrage, s’ils vont ailleurs que là où il les chasse.

Tantôt à bâbord, tantôt à tribord, ils ont le cruel qui jamais ne cesse et revient toujours plus violent. De çà, de là, avec les petites voiles, ils vont tournant et parcourant la haute mer. Mais parce que j’ai besoin de fils variés pour les diverses voiles que je prétends ourdir, je laisse Renaud et sa nef agitée, et je reviens à parler de sa sœur Bradamante.

Je parle de cette remarquable damoiselle par qui le roi Sacripant fut jeté à terre et qui, digne sœur de ce seigneur, naquit du duc Aymon et de Béatrice. Sa grande valeur, son ardeur entraînante, dont elle fit voir plus d’une preuve solide, ne plaisaient pas moins à Charles et à toute la France, que la valeur si prisée du bon Renaud.