Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/76

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de rendre la liberté aux ombres et de me taire. »

Ainsi, avec l’assentiment de la damoiselle, la docte enchanteresse ferme le livre. Alors tous les esprits disparurent en toute hâte dans la grotte où les ossements étaient renfermés. Bradamante, dès qu’il lui fut permis de parler, ouvrit la bouche et demanda : « Quels sont les deux que nous avons vus si tristes entre Hippolyte et Alphonse ?

« Ils venaient en soupirant, et paraissaient tenir les yeux baissés et complètement privés de hardiesse ; et, loin d’eux, je voyais leurs frères s’écarter comme avec répugnance. » Il sembla que la magicienne changeât de visage à cette demande et fît de ses yeux deux ruisseaux. Et elle s’écria : « Infortunés, à quelle peine vous ont conduits les longues instigations d’hommes méchants !

« O bonne et digne race du bon Hercule, que votre bonté ne leur fasse pas défaut ; les malheureux, ils sont en effet de votre sang. Que la justice cède ici à la pitié ! » Puis elle ajoute plus bas : « Il ne convient pas que je t’en dise plus sur ce sujet. Reste avec tes douces pensées, et ne te plains pas de ce que je ne veux pas te les rendre amères.

« Dès qu’au ciel pointera la première lueur, tu prendras avec moi le chemin qui conduit le plus directement au resplendissant château d’acier, où Roger vit sous la dépendance d’autrui. Je serai ta compagne et ton guide, jusqu’à ce que tu sois hors de la forêt âpre et dangereuse. Puis, quand nous serons sur les bords de la mer, je t’enseignerai si bien la route, que tu ne pourras t’égarer. »