Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/9

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immobiles, elle tenait ses regards languissants levés vers le ciel, comme si elle accusait le grand Moteur d’avoir déchaîné tous les destins à sa perte. Elle resta un moment immobile et comme attirée ; puis elle délia sa langue à la plainte et ses yeux aux pleurs.

Elle disait : « Fortune, que te reste-t-il encore à faire pour avoir rassasié sur moi tes fureurs et assouvi ta vengeance ?… ».

Arioste n’est pas seulement le poète de la grâce et de l’émotion douce. Il a, quand il le faut, des accents âpres et mâles pour dépeindre les sanglantes mêlées, les assauts vertigineux, les cités croulant sous la flamme. Ses guerriers, même les moins intéressants, sont dessinés avec une vigueur, avec une maestria superbe. Écoutez-le parler de Rodomont escaladant les murs de Paris :

Rodomont, non moins indompté, superbe et colère, que le fut jadis Nemrod, n’aurait pas hésité à escalader le ciel, même de nuit, s’il en avait trouvé le chemin en ce monde. Il ne s’arrête pas à regarder si les murailles sont entières ou si la brèche est praticable, ou s’il y a de l’eau dans le fossé. Il traverse le fossé à la course et vole à travers l’eau bourbeuse où il est plongé jusqu’à la bouche.
Souillé de fange, ruisselant d’eau, il va à travers le feu, les rochers, les traits et les balistes, comme le sanglier qui se fraye à travers les roseaux des marécages de Malien un ample passage avec son poitrail, ses griffes et ses défenses. Le Sarrasin, l’écu haut, méprise le ciel tout autant que les remparts.
À peine Rodomont s’est-il élancé à l’assaut, qu’il parvient sur une de ces plates-formes qui, en dedans des murailles