Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/32

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ruse avec son amant, elle accourt, feignant une joie extrême, tend vers Griffon les bras ouverts, le saisit au cou et s’y suspend avec abandon.

Puis, joignant à ses gestes affectueux de douces paroles, elle disait en pleurant : « Mon seigneur, est-ce là la récompense due à celle qui t’adore et te révère ? Pendant près d’un an, j’ai été seule séparée de toi, et tu n’en es point affligé ! Si j’étais restée à attendre ton retour, je ne sais si j’aurais pu vivre jusqu’à aujourd’hui.

« Au moment où je croyais que, de la brillante cour de Nicosie où tu étais allé, tu allais revenir auprès de moi que tu avais laissée presque morte d’une fièvre violente, j’appris que tu étais passé en Syrie. Cette nouvelle me causa un chagrin si fort, que, ne sachant comment je pourrais te suivre, je fus sur le point de me percer le cœur de ma propre main.

« Mais la fortune, en m’accordant une double faveur, montra qu’elle avait plus souci de moi que tu n’en as toi-même ; elle m’envoya mon frère, avec lequel je suis venue ici, et qui a protégé mon honneur ; et maintenant elle amène cette bonne rencontre que j’estime comme le plus heureux des événements. Il était bien temps, du reste, car si elle avait tardé plus longtemps, je serais morte, mon seigneur, en t’appelant. »

Et l’astucieuse dame, qui en aurait remontré à un renard, continue ses reproches avec tant d’adresse, qu’elle fait retomber tous les torts sur Griffon. Elle lui fait croire que son compagnon