Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/321

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« Je lui eus à peine exposé mon désir, que je la vis plonger de nouveau. Elle ne me fit pas d’autre réponse que de me lancer quelques gouttes de l’eau enchantée. À peine cette eau m’a-t-elle touchée au visage, que, je ne sais comment, je me sens toute changée. Je le vois, je le sens, et à peine cela me parait vrai. Je me sens, de femelle, devenu mâle.

« Et si ce n’était que vous pouvez vous-même vous en assurer sur-le-champ, vous ne le croiriez pas. Comme je l’étais dans l’autre sexe, je suis encore tout prêt à vous obéir. Commandez ; toutes mes forces sont désormais, et seront toujours dressées et promptes pour votre service. » Ainsi je lui dis, et je fis en sorte qu’elle pût s’assurer avec la main de l’exacte vérité.

« Il arrive souvent que celui qui avait perdu tout espoir de posséder l’objet sur lequel toutes ses pensées étaient concentrées, et qui, dans son désespoir d’en être privé, s’affligeait et se consumait de colère et de rage, vient par la suite à posséder cet objet. Alors sa longue crainte d’avoir semé sur le sable, sa désespérance, lui oppressent tellement le cœur et le disposent tellement au doute, qu’il n’en croit-pas son propre témoignage, et reste tout interdit.

« Ainsi la dame, bien qu’elle voie, bien qu’elle touche ce qu’elle avait tant désiré, n’ose croire à ses yeux, à sa main, à elle-même, et doute d’être encore endormie. Il faut lui montrer, par de bonnes preuves, qu’elle sent bien réellement ce