Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/102

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D’autres prétendent qu’il alla tomber dans la mer à plus de trois milles au loin, et qu’il mourut, ne sachant pas nager, après avoir adressé en vain au ciel ses prières et ces oraisons. D’autres soutiennent qu’un saint vint à son secours et, d’une main invisible, le tira sur le rivage. Quelle que soit, dans tout cela, la vérité, mon histoire ne parle plus de lui.

Le cruel Rodomont, apris s’être débarrassé du loquace ermite, se retourna d’un air moins courroucé vers la dame remplie de tristesse et d’épouvante. Dans le langage habituel aux amoureux, il lui dit qu’elle était son cœur et sa vie, son confort et sa chère espérance, et d’autres choses qui vont avec celles-là.

Il se montrait à cette heure si courtois, qu’il ne donnait plus aucune marque de rudesse. Le gentil visage dont il était énamouré, amortissait et domptait en.lui l’orgueil accoutumé. Et bien qu’il pût cueillir facilement le fruit qu’il convoitait, il ne voulut pas cependant aller plus loin que l’écorce, car il comprenait qu’il perdrait toute saveur, s’il ne le recevait comme un don de la dame elle-même.

Il croyait ainsi disposer peu à peu Isabelle à satisfaire ses plaisirs. Elle, qui se voyait en un lieu si solitaire et si étrange, comme la souris aux griffes du chat, aurait préféré se trouver au milieu d’un brasier ardent. Toutefois, elle cherchait s’il n’y aurait aucun moyen, aucune voie pour la tirer de là intacte et sans tache.