Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/176

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l’aspic qui refuse d’écouter le chant de l’homme, de peur de se laisser apprivoiser.

« Hélas, Amour, arrête celui qui, après avoir ainsi brisé ses liens, s’enfuit devant mes pas trop lents à le suivre dans sa course ; ou bien rends-moi telle que j’étais quand tu t’es emparé de moi, alors que je n’étais la sujette ni de toi ni de personne. Hélas ! combien vaine est mon espérance de t’inspirer de la pitié par mes prières, toi qui te plais à tirer des yeux des ruisseaux de larmes, ou qui plutôt en fais ta nourriture, ta vie !

« Mais dois-je me plaindre d’autre chose, hélas ! que de mon désir insensé ? Il m’emporte si haut dans les airs, qu’il arrive à des régions où il se brûle les ailes ; alors, ne pouvant plus me soutenir, il me laisse tomber du ciel. Et ce n’est point là la fin de mes maux ; car toujours il recommence, et va se brûler de nouveau ; de sorte que je suis sans fin précipitée dans l’abime.

« Je dois me plaindre de moi, bien plus encore que de mon désir ; n’est-ce pas moi qui lui ai ouvert mon esprit, dont il a chassé la raison, et où mon pouvoir est au-dessus du sien ? Il m’entraîne de mal en pis, et je ne puis le contenir, car il n’existe pas de frein capable de l’arrêter. Je comprends qu’il me mène à la mort, car plus j’attends, plus mon mal me fait souffrir.

« Et pourquoi même me plaindre de moi ? Quelle autre erreur ai-je commise si ce n’est de t’aimer ? Faut-il s’étonner que mes sens de femme, faibles et malades, aient été soudain subjugués ? Devais-