Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/79

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le penser et d’en croire autrui que d’en faire par soi-même l’expérience, comme, à son grand chagrin le fit Joconde. Saisi d’indignation, il songea à tirer son épée et à les tuer tous les deux, mais il fut arrêté par l’amour qu’en dépit de lui-même il conservait pour son ingrate épouse.

« Ce funeste amour — jugez par là s’il l’avait asservi — l’empêcha même de la réveiller, afin de lui éviter la confusion de se trouver surprise en si grande faute. Le plus doucement qu’il put, il sortit, descendit les escaliers, et, se remettant à cheval, poussé par sa douleur amoureuse, il n’arrêta sa monture qu’à l’auberge où il rejoignit son frère.

« Il parut à tous changé de visage ; tous virent qu’il n’avait pas le cœur joyeux. Mais aucun ne devina et ne put pénétrer son secret. Ils croyaient qu’il s’était éloigné d’eux pour aller à Rome, et il était allé à Corneto. Car si chacun comprenait que l’amour était cause de son chagrin, personne n’aurait su dire en quoi ni comment.

« Son frère pensa que c’était la douleur d’avoir laissé sa femme seule qui le tourmentait, tandis qu’au contraire il se lamentait, il enrageait de l’avoir laissée trop en compagnie. L’infortuné, le front crispé, la lèvre gonflée, tenait l’œil constamment fixé sur la terre. Fausto, qui employait tous les moyens-pour le réconforter, ne sachant point la cause de son chagrin, ne pouvait y parvenir.

« Il arrosait la plaie d’une liqueur contraire ; croyant dissiper la douleur, il l’accroissait ; croyant fermer la blessure, il l’ouvrait et la rendait plus