Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/98

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destrier ployant sous un lourd fardeau recouvert d’un drap noir.

Quelle était la damoiselle, quel était le moine, et ce qu’ils portaient avec eux, cela doit vous être fort clair ; vous avez bien dû reconnaître Isabelle qui emmenait le corps de son cher Zerbin. Je l’ai laissée traversant la Provence sous la conduite du sage vieillard qui l’avait décidée à consacrer honnêtement à Dieu le reste de sa vie.

Bien que la damoiselle eût la pâleur et l’égarement peints sur le visage, et les cheveux incultes, bien que de sa poitrine embrasée sortissent de continuels soupirs, et que ses yeux fussent deux fontaines, qu’elle portât enfin sur elle tous les témoignages d’une existence malheureuse et insupportable, elle était si belle encore, que les grâces et l’amour auraient pu y faire leur résidence.

Aussitôt que le Sarrasin vit paraître la belle dame, il sentit s’évanouir la haine qu’il avait vouée au sexe que le monde entier adore. Isabelle lui parut en tout digne de lui inspirer un second amour, et d’éteindre le premier, de la même façon que, dans une planche, un clou chasse l’autre.

Il se porta à sa rencontre, et de sa voix la plus douce, de son air le plus gracieux, il s’informa de sa condition. Elle lui découvrit aussitôt le fond de sa pensée ; comment elle était sur le point de quitter le monde trompeur et de se consacrer à Dieu et à ses œuvres saintes. Le païen altier, sans foi ni loi, et qui ne croit pas à Dieu, se met à rire.