Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/238

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elle penche vers celle qui est la plus douce à son cœur, et elle s’efforce de repousser l’autre.

Parfois aussi, se rappelant ce que Roger lui a dit tant de fois, elle s’accuse et se repent, comme si elle avait commis une faute grave, de sa jalousie et de ses soupçons. Comme si Roger était présent, elle se reconnaît coupable et frappe sa poitrine. « J’ai commis une faute — disait-elle — et je le reconnais. Mais celui qui en est la cause a causé bien plus de mal encore.

« C’est Amour| qui en est cause ; c’est lui qui m’a imprimé au cœur ta belle et ravissante image. C’est lui qui t’a donné la vaillance, l’esprit et la vertu dont chacun parle. Aussi me paraît-il impossible qu’en te voyant toute dame ou damoiselle ne se sente pas éprise de toi, et ne mette tout en œuvre pour t’enlever à mon amour et te soumettre au leur.

« Hélas ! qu’Amour n’a-t-il imprimé tes pensées dans les miennes, comme il y a imprimé ton visage ! Je suis bien sûre que je les trouverais telles que je les crois sans les voir, et que je serais si éloignée d’en être jalouse, que je ne me ferais pas, comme en ce moment, une pareille injure, une peine qui non seulement me brise et m’abat, mais qui finira par me tuer.

« Je ressemble à l’avare dont les pensées sont tellement tournées vers le trésor qu’il a enfoui, qu’il ne peut vivre en paix, et tremble toujours qu’on le lui ait dérobé. Maintenant que je ne te vois plus, que je ne te sens plus auprès de moi,