Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/255

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la croyance que toi seul pourrais me résister les armes à la main. Hors toi, je ne craignais personne. Mais Dieu m’a punie de mon audace, puisque Léon, qui jamais de sa vie n’a accompli d’action d’éclat, m’a faite ainsi prisonnière.

« A vrai dire, je ne suis sa prisonnière que parce que je n’ai pu ni le tuer, ni le faire prisonnier lui-même. Mais cela ne me paraît pas juste, et je ne veux pas me soumettre au jugement de Charles. Je sais que je me ferai accuser d’inconstance si je reviens sur ce que j’ai promis ; mais je ne serai pas la première ni la dernière qui aura paru inconstante.

« Il me suffit de garder la foi que j’ai jurée à mon amant, et de me garer de tout écueil. En cela, j’entends laisser bien loin derrière moi tout ce qui s’esl fait dans les temps anciens et de nos jours. Que pour tout le reste on me traite d’inconstante, je n’en ai nul souci, pourvu que je retire les profits de l’inconstance. Pourvu que je ne sois pas contrainte à épouser Léon, je consens à passer pour plus mobile que la feuille. »

C’est en se plaignant de la sorte, et en poussant des soupirs mêlés de larmes, que Bradamante passa la nuit qui suivit ce jour fatal. Mais quand le dieu de la nuit se fut retiré dans les grottes cimmériennes où il renferme ses ténèbres, le ciel, qui avait résolu dans ses décrets éternels de faire de Bradamante l’épouse de Roger, lui apporta un secours inattendu.

Il poussa Marphise, l’altière donzelle, à se présen-