Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/270

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fit alors que j’ignorais ton nom. Elle ne m’en aurait pas moins chassé la haine du cœur, et inspiré l’amitié que je te porte depuis ce jour.

« Que j’aie haï le nom de Roger, avant de savoir que tu étais Roger, je ne le nierai pas ; mais maintenant, ne te préoccupe pas de la haine que j’ai eue pour toi. Sois persuadé que le jour où je te tirai de prison, si j’avais su la vérité, j’aurais agi de même en ta faveur.

« Et si j’eusse volontiers agi ainsi, alors que je n’étais pas, comme maintenant, ton obligé, quelle ingratitude ne montrerais-je pas en me conduisant autrement aujourd’hui ? N’as-tu pas renoncé à ton propre bien pour me le donner ? Mais je te le rends, et j’éprouve plus de plaisir à te le rendre, que je n’en ai eu à le recevoir de toi.

« Bradamante te convient bien plus qu’à moi ; je l’aime, il est vrai, pour ses grandes qualités, mais la pensée qu’un autre doit la posséder ne saurait me pousser à mourir. Je ne veux pas, au prix de ta mort qui la délivrerait des liens du mariage contracté avec toi, avoir le droit de la prendre légitimement pour femme.

« Non seulement je renonce à elle, mais j’aimerais mieux me dépouiller de tout ce que je possède au monde, et même perdre la vie, que de m’entendre accuser d’avoir causé la mort d’un chevalier tel que toi. Je me plains seulement de ta défiance ; alors que tu pouvais disposer de moi comme de toi, tu as mieux aimé mourir que me demander aide. »