Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/75

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revinrent en soupirant les deux donzelles, lorsqu’elles eurent vu le païen disparaître sain et sauf.

Elles ne s’arrêtent point pour cela ; mais elles se jettent dans la foule des autres fuyards, renversant de çà de là, à chaque botte, nombre de gens qui ne se relevèrent plus jamais. Les malheureux ne pouvaient même pas trouver leur salut dans la fuite, Agramant ayant, pour sa propre sécurité, fait fermer la porte qui donnait sur le camp,

Et rompre tous les ponts sur le Rhône. Ah ! plèbe infortunée, lorsque tu n’es plus utile au tyran, l’on te traite comme un troupeau de moutons et de chèvres ! Les uns se noient dans le fleuve et dans la mer, les autres rougissent les sillons de leur sang. Un grand nombre périrent ; fort peu furent faits prisonniers, car la plupart n’auraient pu payer de rançon.

Dans cette bataille suprême, le nombre des morts fut si grand de part et d’autre — quoique cependant les pertes des Sarrasins eussent été beaucoup plus considérables, grâce à Bradamante et à Marphise — qu’on en voit encore les traces en’cet endroit. Tout autour d’Arles, la campagne, où le Rhône forme comme un lac, est couverte de tombes.

Cependant le roi Agramant avait fait prendre le large à ses plus gros navires, laissant quelques-uns des plas légers à la disposition de ceux qui pourraient se sauver. Il y resta pendant deux jours, soit pour recueillir ceux qui pourraient se sauver, soit parce que les vents étaient contraires et mau-