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Page:L’Auvergne historique, littéraire et artistique, série 3, tome 1, années 1893-1894, 1903.djvu/243

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cette terre quasi familiale vers laquelle son père d’abord, son frère ensuite avaient successivement porté leurs pas.

La perspective sourit à Victor qui, sans trop d’hésitation, prit passage à bord du premier navire en partance pour le Nouveau Monde.

Il relâcha à l’île de Cuba où son séjour se prolongea durant près de cinq ans. Il y subit bien des tribulations, des avanies et des déboires, – il le crut du moins, car tout tournait déjà chez lui à la monomanie de la persécution, même les étonnements que faisaient éprouver aux autorités espagnoles ses allures inconsidérées. Changeant et versatile, tantôt maçon, tantôt charpentier, employé parfois aux sucreries de riches planteurs, établissant ici des fours et des cheminées économiques, là des moulins à mouture intensive, notre personnage parcourut le cycle des professions usuelles. Rien toutefois n’autorise à prétendre, ainsi que l’a fait M. de La Sicotière, qu’il exerça le métier de corsaire et qu’il se livra à la piraterie.

Il se trouvait à la Havane quand s’accomplit dans son état moral le définitif avatar qui allait le transformer en un prince méconnu et opprimé. La révélation lui fut faite du mystère de sa naissance et la grandeur de ses origines. Soudain, raconta-t-il plus tard, le voile du passé se déchira, ses yeux se dessillèrent, sa mémoire, longtemps obscurcie par l’effet d’un pernicieux breuvage, redevint lucide. Aucun doute n’était possible : c’était lui le royal rejeton de France, qui avait servi de souffre-douleur au savetier Simon ; lui qu’un génie malfaisant, abritant sa perfidie sous le masque du dévouement, avait fait enlever de son cachot par un joueur d’orgue en 1793 ; lui que l’on avait substitué à un enfant appelé Victor Persat, dont il avait inconsciemment usurpé le nom et la place au foyer d’une famille plébéienne ; lui dont on avait voulu paralyser l’intelligence et que l’on faisait passer pour fou ; lui enfin que l’on tenait éloigné du trône par la plus machiavélique des combinaisons. Son oppresseur, il le connaissait : il n’était autre que l’infâme marquis de La Fayette, dont les sombres intrigues avaient amené la mort de Louis XVI et provoqué toutes les horreurs de la Révolution ; dont le secret dessein avait toujours été de s’emparer du pouvoir, et qui