Page:L’Humanité nouvelle, 1901.djvu/183

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lement avoir pâli davantage. D’un mouvement nerveux elle saisit la main de l’exilé, la serra si fort qu’il en fut frappé et se tourna vers elle. « Qu’avez-vous ? lui dit-il, calmez-vous. » Ne s’étant pas aperçu de ma présence dans l’isba, il ne comprenait rien à cet accès. Mais elle, quittant la main de son compagnon, fit un effort pour se lever en lui disant : « Adieu ! vous les voyez ? ils viennent m’arracher à vous. Non, ils ne me laisseront pas mourir en paix ! » Il se retourna, m’aperçut et se rua sur moi : j’eus un frémissement de tout l’être, je crus qu’il allait me tuer. Mais, voyant ma frayeur, il se retourna vers elle, lui prit la main et se mit à rire : « Calmez-vous », lui dit-il ; puis s’adressant à moi : « Que venez-vous faire ici ? » J’étais tout déconcerté par la frayeur de la jeune fille. Je dis à l’exilé que je venais simplement la voir et savoir de ses nouvelles. Elle me reconnut alors. Toujours aussi irritable qu’autrefois, elle s’enflamma aussitôt. J’étais venu dans un élan de cœur pour la consoler, la servir, et elle me considérait comme une bête féroce. Lorsqu’il comprit enfin de quoi il retournait, il se mit à rire et lui parla bas. Je n’ai pas bien saisi le sens de leur conversation, votre langage, à vous autres, est si singulier. Il parlait sur un ton calme, doux et persuasif, s’efforçant de lui faire comprendre je ne sais quoi. Elle, au contraire, paraissait furieuse, voire même insolente. L’exilé lui dit : « Mais regardez-le donc ! c’est l’homme qui vous vient voir, ce n’est point le gendarme. » Mais elle s’obstinait : « Pourquoi alors reste-t-il au service ? » dit-elle. « Dieu de Dieu, pensai-je, se peut-il qu’à ses yeux je ne sois pas même un homme. Lui ai-je jamais volontairement causé un chagrin ? » Un sentiment d’amertume me pénétra. « Pardon, lui dis-je, de vous avoir dérangée. » « Dérangée ! c’est bien de cela qu’il s’agit. » Je me sentais mal à mon aise. « Adieu », leur dis-je. Elle garda le silence, mais lui vint à moi, me serra la main et demanda si nous allions dans l’intérieur du pays. « À votre retour venez nous voir, je vous prie », ajouta-t-il. Elle le regarda, sourit de son sourire énigmatique et lui dit : « Je ne vous comprends pas. » « Vous me comprendrez un jour, répondit-il, car vous êtes bonne au fond. »

Au retour de notre expédition, le chef des gendarmes me fit appeler et me signifia : « Vous resterez ici jusqu’à nouvel ordre. Une dépêche, que je viens de recevoir, me dit de vous faire attendre un pli qui va vous parvenir avec des instructions. »

Nous restâmes. Un jour, j’allai de nouveau pour demander, en passant, de leurs nouvelles chez la maîtresse du logis. J’entrai ; à ma question elle répondit : « Mal, elle va très mal ; pourvu qu’elle ne meure pas ainsi ! Je tremble devant la responsabilité qui m’incomberait, elle repousse le prêtre ! » À ce moment-là l’exilé sortit de la maison. Me voyant, il me salua en disant : « Vous êtes de retour ?