Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/33

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Clarisse, avec un calme déconcertant. — Ah ! bien, tu as de l’aplomb ! C’est juste ce que j’ai fait.

Ventroux, abasourdi par tant de toupet, la regarde, se prend le crâne comme pour l’empêcher d’éclater, puis, remonte en agitant ses mains au-dessus de sa tête. — Ah ! bien, non, tu sais, tu parles d’aplomb !…

Clarisse, remontant vers lui. — Absolument ! Et c’est encore une preuve de ton éternelle injustice ! (Descendant no 2.) Essayez donc de faire plaisir aux gens ! (S’asseyant sur le fauteuil, dos au public, près de la cheminée.) Comme je sais tes idées étroites et que vous étiez tous les deux dans ma chambre, j’ai été exprès me déshabiller dans mon cabinet de toilette.

Ventroux, assis sur le canapé. — Oui, seulement, une fois que tu as été en chemise de jour, tu es arrivée dans ta chambre. Au choix, j’aurais préféré le contraire.

Clarisse. — Mais c’était pour prendre ma chemise de nuit !

Ventroux. — Oui, oh ! tu as toujours de bonnes raisons ! Mais, d’abord, quel besoin as-tu de te mettre en chemise de nuit à quatre heures de l’après-midi ?

Clarisse. — Tiens ! tu es bon, toi ! on voit que ce n’est pas toi qui es allé crever de chaleur au mariage de la petite Duchômier. (Se levant.). Et tiens, encore ça, pour qui y ai-je été ? Hein ? C’est pour toi, c’est pas pour moi, bien sûr ! (Elle gagne le milieu de la scène tout en parlant.) Pour t’épargner une corvée !… comme toujours !… Car enfin, ce n’est pas moi qui suis le collègue du père à la Chambre ! Je ne suis pas député, moi ! c’est toi. Tu as une façon de me remercier !

Ventroux, haussant les épaules. — Il ne s’agit pas de te remercier !…

Clarisse, lui coupant la parole. — Oh ! je sais, tout t’est dû ! Un remerciement de ta part, je suis encore à l’attendre ! (Remontant vers lui.) N’empêche que quand je suis rentrée, en transpiration, j’ai éprouvé le besoin de me mettre à l’aise. Je crois que c’est permis ?

Ventroux. — Eh bien ! oui, ça… ! ça, j’admets !

Clarisse, remontant au-dessus du canapé. — C’est encore heureux ! Parbleu, tu es au frais, ici ! Tu ne te doutes pas que dehors nous avons au moins… trente-cinq au trente-six degrés… de latitude !

Ventroux, ironique. — De latitude ?

Clarisse, à qui l’intention de son mari échappe. — Trente-six degrés, parfaitement !

Ventroux. — Quoi, "de latitude" Qu’ça veut dire, ça : "de latitude" ?

Clarisse, au-dessus du canapé, sur un ton d’ironie légèrement méprisante. — Tu ne sais pas ce que c’est que… "latitude" ? (Descendant.) Eh bien !… c’est triste, à ton âge ! (Arrivée à droite de la table, se retournant vers son mari et l’écrasant de sa supériorité.) "Latitude", c’est le thermomètre.

Ventroux, sur un ton moqueur. — Ah ?… Je te demande pardon ! J’ignorais.

Clarisse. — C’est pas la peine d’avoir été au collège. (S’asseyant sur la chaise, à droite de la table.) Quand on pense que, par trente-six degrés… de latitude, tu nous imposes d’être encore à Paris ! Tout ça parce que tu es député, et que tu ne peux pas quitter la Chambre avant la fin de la session !… Je te demande un peu ! comme si la Chambre ne pouvait pas se passer de toi !

Ventroux, se levant d’un trait, et à pleine voix. — Je ne sais pas si la Chambre peut ou non se passer de moi ; ce que je sais, c’est que, quand on a assumé une fonction, on la remplit ! Ah ! ben ! ce serait du joli, si, sous prétexte qu’individuellement la Chambre n’a pas positivement besoin de chacun de nous, chaque député se mettait à fiche le camp ! Il n’y aurait plus qu’à fermer la Chambre !

Il remonte.

Clarisse. — Eh ben ! La belle affaire ! Ça n’en irait pas plus mal ! C’est toujours quand la Chambre est en vacances que le pays est le plus tranquille ; alors !…

Ventroux, qui est redescendu à gauche de la table. En appuyant sur les mots. — Mais, ma chère amie, nous ne sommes pas à la Chambre pour que le pays soit tranquille ! C’est pas pour ça que nous sommes élus ! Et puis, et puis enfin, nous sortons de la question ! Je te demande pourquoi tu te promènes en chemise, tu me réponds en faisant le procès du parlementarisme ; ça n’a aucun rapport.

Il s’assied face à sa femme.

Clarisse. — Je te demande pardon, ça en a ! Parce que, à cause de ton Parlement, nous sommes encore à Paris par trente-six degrés… de latitude…

Ventroux, narquois — Tu y tiens.

Clarisse. — Parfaitement ! Parce que, par trente-six degrés… de latitude, je suis en transpiration ; parce qu’étant en transpiration, j’ai éprouvé le besoin de changer de chemise ; et que, parce que j’ai changé de chemise, tu as éprouvé, toi, le besoin de m’attraper !

Ventroux. — Je ne t’ai pas attrapée parce que tu as changé de chemise ; je t’ai attrapée parce que tu te promenais devant ton fils en chemise transparente.

Clarisse, presque crié. — Est-ce que c’est de ma faute si on voit au travers ?

Ventroux. — Non ! mais c’est de ta faute si tu entres avec dans ta chambre.

Clarisse. — Ah ! non, ça, c’est le comble ! Je n’ai plus le droit d’entrer dans ma chambre maintenant ?

Ventroux. — Mais je n’ai jamais parlé de ça ! Ne me fais donc pas dire ce que je ne dis pas !

Clarisse, sans l’écouter. — Où veux-tu que j’aille me déshabiller ? A la cuisine ? A l’office ? Devant les domestiques ? Ah ! C’est pour le coup que tu crierais comme un putois.

Ventroux. — Cette mauvaise foi dans la discussion !…

Clarisse, se levant et remontant vers le canapé. — Il n’y a pas de mauvaise foi ! Je suis chez moi dans ma chambre ! C’est vous qui n’aviez pas besoin d’y être ! Je ne vous ai pas demandé d’y venir, n’est-ce pas ? (S’asseyant sur le canapé.) Eh ! bien, si ma tenue vous gênait, vous n’aviez qu’à vous en aller.

Ventroux, se levant. — Voilà ! Voilà sa logique !

Clarisse. — C’est vrai, ça !… Me faire une scène parce que je suis entrée en chemise de jour ! (Brusquement et presque crié.) Mais comment voulais-tu que je fasse, puisque ma chemise de nuit était dans ma chambre ?

Ventroux, allant à elle. — Eh ! bien, j’étais là ! Tu n’avais qu’à me la demander ! Je te l’aurais apportée !

Clarisse, avec une logique déconcertante. — Alors, c’était la même chose : tu m’aurais vue toute nue.

Ventroux. — Mais moi, moi ! je suis ton mari !

Clarisse. — Eh ! bien, lui ! c’est mon fils !