Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ventroux, se prend les cheveux à se les arracher, et, d’une voix larmoyante. — Ah ! non ! C’est à décourager ! (A Clarisse.) Alors, tu trouves que c’est pareil ?

Clarisse. — Mais… c’est plus près !

Ventroux. — Oh !

Clarisse. — En somme, toi, quoi ? tu es un étranger pour moi ! Tu es mon mari, mais c’est une convention ! Quand je t’ai épousé, — je ne sais pas pourquoi…

Ventroux, s’incline, puis. — Merci.

Clarisse, sans s’interrompre. -… je ne te connaissais pas ; et, crac, du jour au lendemain, parce qu’il y avait un gros monsieur en ceinture tricolore devant qui on avait dit "oui", c’était admis ! tu me voyais toute nue. Eh ! ben, ça, c’est indécent.

Ventroux. — Ah ! tu trouves !

Clarisse. — Tandis que mon fils, quoi ? C’est ma chair ! C’est mon sang ! Eh ben !… que la chair de ma chair voie ma chair, il n’y rien d’inconvenant ! (Se levant.) A part les préjugés !

Ventroux. — Mais c’est tout, les préjugés ! C’est tout !

Clarisse, passant devant lui, avec hauteur. — Pour les esprits mesquins, oui ! Mais, Dieu merci ! je suis au-dessus de ça !

Ventroux, s’effondrant sur le fauteuil, près de la cheminée. — Voilà ! Voilà ! elle est au-dessus de ça ! elle arrange tout comme ça !

Clarisse, revenant à la charge, tout en allant s’asseoir sur le canapé. — Non, mais enfin… est-ce que, depuis la plus tendre enfance du petit, il n’a pas vingt-cinq mille fois assisté à ma toilette ? Et tu n’as jamais rien dit !

Ventroux. — Il y a tout de même un jour où il faut que ces choses-là cessent.

Clarisse, exaspérante de calme. — Oui. Oh !… J’te dis pas !

Ventroux. — Eh ben ! alors !

Clarisse, les yeux au plafond. — Bon !… Quand ?

Ventroux. — Quoi, "quand" ?

Clarisse, même jeu. — Quel jour ?… A quelle heure ?

Ventroux. — Quoi ? quoi ? "Quel jour ? A quelle heure ? "

Clarisse. — Cesse-t-on ? Il doit y avoir un jour, une heure spéciale. Pourquoi particulièrement aujourd’hui ? Pourquoi pas hier ? Pourquoi pas demain ? Alors, je te demande : "Quel jour ?… Quelle heure ? "

Ventroux, répétant sur le même ton. — "Quel jour, quelle heure ! " Elle vous a de ces questions !… Est-ce que je sais, moi ? Comment veux-tu que je précise ?

Clarisse. — Tu ne peux pas préciser ! (Se levant et s’avançant sur son mari.) Tu ne peux pas préciser ! Ça, c’est merveilleux ! Et alors, tu veux que, moi, une femme ! qui, par définition, dois être moins intelligente que toi — du moins, c’est toi qui le dis — tu veux que, moi, je sois à même de le faire, quand, toi, tu t’en déclares incapable !

Ventroux, hors de lui. — Mon Dieu, que c’est bête, ce que tu dis là !

Clarisse, gagnant la gauche. — Mais non ! tu m’attaques, je me défends.

Ventroux, se levant, et allant à elle. — Enfin, qu’est-ce que tu veux me prouver ? Qu’une mère a raison de se montrer en chemise à son fils ?

Clarisse, adossée contre le devant de la table de gauche. — Mais ce n’est pas là-dessus que j’en suis ! Ça t’est désagréable, eh ! bien, c’est bon !… tu n’as qu’à me le dire sans t’emporter ; je ferai attention.

Ventroux, peu convaincu. — Oui, oh ! tu feras attention ! (S’asseyant à droite de la table.) Tu sais très bien que non ! tu ne peux pas ne pas traîner en chemise ; c’est plus fort que toi.

Clarisse. — Oh ! que c’est exagéré !

Ventroux. — Tous les jours je t’en fais l’observation.

Clarisse. — Je t’assure, non ! Si tu me vois quelquefois comme ça le matin, c’est que ma toilette n’est pas faite, mais une fois que je suis habillée, je te certifie…

Ventroux. -… Que tu n’es plus en chemise ; oh ! ça, évidemment ! Seulement, tu ne l’es jamais, habillée !

Clarisse, s’emportant. — Enfin, quoi ? Qu’est-ce que tu veux ? Que je ne fasse pas ma toilette ?

Ventroux. — Mais si ! Mais si ! Fais-la, ta toilette ! mais reste chez toi pour la faire !… et ferme la porte ! Elle est toujours ouverte dans ces moments-là ! Comme c’est convenable pour les domestiques !

Clarisse. — Quoi ? Ils n’entrent pas.

Ventroux. — Ils n’ont pas besoin d’entrer pour te voir, ils n’ont qu’à regarder.

Clarisse. — Si tu crois qu’un domestique ça regarde !

Ventroux. — Oui, oh ! n’est-ce pas ? c’est pas des hommes comme les autres ?… Non, mais, c’est drôle, ça ! tu laisses ta porte ouverte quand tu fais ta toilette !… et tu t’enfermes pour mettre ta voilette !

Clarisse, avec les petits gestes étriqués et tatillons des femmes maniaques. — Ah ! oui, parce que, là, je n’aime pas être dérangée quand je mets ma voilette ; j’aime pas qu’on tourne autour de moi, j’en viens pas à bout.

Ventroux, se levant et remontant au-dessus du canapé. — C’est vraiment dommage qu’il n’en soit pas de même pour tes ablutions !… Mais pas seulement ça ! Tu fais mieux encore : tu allumes dans ton cabinet de toilette… et tu ne fermes même pas tes rideaux !

Clarisse, avec un geste indigné. — Oh ! quand ?

Ventroux. — Mais… hier !

Clarisse, subitement calmée. — Ah ! bien, oui, hier.

Ventroux. — Parce que tu ne vois plus au dehors, tu es comme l’autruche : tu t’imagines qu’on ne te voit pas du dehors.

Clarisse, allant s’adosser contre le devant de la table. — Avec insouciance. — Oh ! qui veux-tu qui regarde ?

Ventroux. — Qui ? (Indiquant la fenêtre du geste.) Mais Clemenceau, ma chère amie !… Clémenceau, qui demeure en face !… et qui est tout le temps à sa fenêtre !

Clarisse. — Bah ! il en a vu bien d’autres, Clemenceau !

Ventroux. — C’est possible !… C’est possible, qu’il en ait vu d’autres, mais j’aime autant qu’il ne voie pas celle-là. Ah ! ben, je serais propre !

Il s’assied sur le canapé.

Clarisse. — En quoi ?

Ventroux. — En quoi ? Mais tu n’y songes pas ! Tu ne connais pas Clémenceau ! c’est notre premier comique, à nous !… Il a un esprit gavroche ! Il est terrible ! Qu’il fasse un mot sur moi, qu’il me colle un sobriquet, il peut me couler !

Clarisse. — T’as pas ça à craindre, il est de ton parti.