Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/37

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Clarisse, qui a longé le canapé pour redescendre milieu scène. — Oui ? Ah ! ben, tant mieux ! Je craignais que ça t’ait mécontenté ?

Ventroux, ahuri par cette interprétation. — Hein ?… (Avec colère.) Mais oui, ça m’a mécontenté ! Sûrement, que ça m’a mécontenté !

Clarisse, gagnant vers son mari. — Mais, alors, pourquoi dis-tu que tu n’es pas fâché ?

Ventroux, même jeu. — Je ne suis pas fâché de ce qui t’arrive, parce que, peut-être, ce te sera une leçon pour l’avenir.

Il s’assied avec humeur sur le fauteuil près de la cheminée.

Clarisse, devant la cheminée. — Ah ! J’avais pas compris ça. J’avais cru à un mot gentil de ta part.

Ventroux. — C’est ça ! à un mot d’encouragement ?

Clarisse. — Oh ! ben, qu’est-ce que tu veux, c’est un petit malheur ! (Se penchant vers son mari.) Qui c’est le monsieur dont on t’a remis la carte ?

Ventroux, ronchonnant. — Un petit malheur, voilà ! C’est tout l’effet que ça lui fait !

Clarisse. — Mais quand je m’arracherais les cheveux !… (Sans transition.) Qui c’est le monsieur dont…

Ventroux, rageur. — Qui ? Quoi ? Quel monsieur ?

Clarisse. — Dont on t’a remis la carte.

Ventroux, se levant, et avec humeur. — Eh ! Qu’est-ce que ça te fait ?

Il gagne le milieu de la scène.

Clarisse, vexée. — Ah ! je te demande pardon !…

Elle s’assied à la place laissée vacante par Ventroux.

Ventroux, revenant à sa femme. — Eh ben ! tiens, puisque tu veux le savoir, c’est un monsieur devant lequel il est très heureux que tu ne te sois pas montrée en chemise, en compagnie de ton domestique !… parce qu’alors mon compte aurait été bon auprès de mes électeurs…

En ce disant, il s’est assis sur le canapé.

Clarisse. — Pourquoi ?

Ventroux. — Parce que si je prêtais le flanc à ses commérages, à celui-là !… Ah ! Ah !… (Changeant de ton.) C’est l’homme qui a mené la campagne la plus acharnée contre moi au moment de mon élection.

Clarisse. — Non ?… Ce n’est pas monsieur Hochepaix ?

Ventroux. — Le maire de Moussillon-les-Indrets lui-même !

Clarisse. — Comment ! cet homme qui a tout fait pour faire passer ton concurrent, le marquis de Berneville !

Ventroux. — Le socialiste unifié ! parfaitement !

Clarisse, se levant et gagnant la gauche. — Ah ! ben ! il a du culot ! (S’adossant au devant de la table.) Cet homme qui a dit de toi… ping pong !

Ventroux, la regarde, étonné, puis, lentement, se lève et va vers elle. Une fois arrivé près de Clarisse, sur un ton narquois. — Comment dis-tu ça ?

Clarisse, le plus naturellement du monde. — Ping pong !

Ventroux, répétant en riant. — "Ping pong" ! (Corrigeant.) "Pis que pendre" !… pas "ping pong" !

Clarisse, même jeu. — On ne dit pas ping pong ?

Ventroux, du tac au tac. — On ne dit pas ping pong.

Clarisse. — J’ai toujours entendu dire ping pong !

Ventroux, sur le même ton qu’elle. — Tu as toujours mal entendu.

Clarisse. — Ah ! bien, c’est donc ça que je ne comprenais pas l’expression…

Ventroux, ironique. — C’est donc ça, évidemment !

Clarisse. — D’ailleurs, ça m’est égal ! ping pong ou pis que pendre, j’espère que tu vas le mettre à la porte, ce monsieur, avec tous les honneurs qui lui sont dus !

Ventroux. — Au contraire, je serai le plus aimable possible ! et même, si tu le vois, je te prie également (Appuyant sur le mot.) d’affecter la plus grande amabilité.

Clarisse, étonnée. — Ah !

Ventroux. — Hochepaix chez moi ! C’est ma revanche. Ensuite, ça a beau être le dernier des chameaux…

Clarisse. — Oh ! oui, des chameaux !

Ventroux. -… il faut penser que c’est un gros industriel ; que, dans sa fabrique de tissus, il emploie de cinq à six cents ouvriers, autant de voix dont il dispose, il est bon de se le ménager. Il faut être pratique dans la vie. (Tirant sa montre.) En attendant, il est près de quatre heures et demie ; il ne va pas tarder ; va, va t’habiller !

Il la fait passer no 2.

Clarisse, remontant. — C’est ça ! c’est ça ! (Se ravisant et redescendant au-dessus du canapé.) Ah !

Elle va presser le bouton électrique.

Ventroux, qui a gagné la gauche. — Qu’est-ce que tu fais ?

Clarisse. — Je sonne Victor.

Ventroux, narquois. — Tu trouves qu’il ne t’a pas assez vue ?

Clarisse, battant l’air de la main d’un geste gentil, comme pour envoyer une tape à son mari, puis. — Méchant !… c’est pour qu’il emporte ton plateau ; (Contournant le canapé pour aller, tout en parlant, devant le petit guéridon sur lequel est le café.) je lui ai déjà dit vingt fois d’enlever les tasses quand on a fini de prendre le café ! C’est laid de voir des tasses qui traînent ; et puis, ça attire les mouches ! et les guêpes !… tiens ! regarde-moi ça ! (Ramenant dans sa main le bas du devant de sa chemise de façon à en faire une sorte de chasse-mouches qu’elle agite au-dessus du guéridon.) Allez ! allez !… Allez, les mouches !… allez les guêpes !… allez, mesdames !… (A Ventroux.) Je ne peux pas voir le désordre ; j’aime la tenue dans ma maison ; j’aime la tenue !

Ventroux, montrant la tenue de sa femme. — Elle aime la tenue !

Clarisse, qui est remontée au-dessus du canapé. — Et, maintenant, comme je ne veux pas que Victor me voie en chemise…

Ventroux, moqueur. — Non, vraiment ?

Clarisse, du même geste gentil que précédemment, elle lui envoie de loin une tape de la main, puis. — Ne sois pas taquin ! (Tout en appuyant, par dessus le canapé, sur le bouton électrique.) Quand il viendra, tu lui diras d’enlever tout ça, hein ?

Ventroux. — Oui, eh ben ! c’est pas la peine de te fatiguer ; la sonnette ne marche pas. Il sera arrivé quelque chose dans la pile.

Clarisse. — Ah ! ben, sans doute qu’elle est à sec ! elle a soif ; il n’y a qu’à remettre de l’eau !

Ventroux. — Peut-être ! j’en sais rien !

Il remonte.

Clarisse. — Je vais lui donner à boire.

Ventroux, l’accompagnant. — C’est ça ! va ! va !

Clarisse. — Oui.

Elle sort par le fond à droite.