Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/38

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Ventroux, au moment de refermer la porte, la rouvrant pour une derrière recommandation. — Et passe ta robe de chambre !

Voix de Clarisse — Mais oui, tu sais bien que quand tu me demandes gentiment, je me fais une joie…

La voix se perd dans le lointain.



Scène V

Ventroux, puis Victor, puis Hochepaix

Ventroux, après avoir refermé la porte sur lui, reste un instant sur place, lève les yeux au ciel avec un geste de la main et un hochement de tête significatifs ; puis, après s’être pris le front une seconde, va jusqu’à la fenêtre dont le store est toujours tiré. A ce moment son regard s’arrête sur un point que le public n’aperçoit pas. Il fait : "Ah ! " puis, tout en saluant de la main. — Bonjour ! bonjour ! (Au public, avec un ricanement amer.) Clemenceau ! (Avec rage, il referme le store.) Il n’a donc rien à faire, c’t'homme-là ! (A ce moment on entend un timbre résonner extérieurement.) Ah !… L’autre maintenant !

En ce disant, il a traversé la scène ; il remonte côté gauche de la table, contre laquelle il se campe dans une attitude de dignité.

Victor, (no2), annonçant. — Monsieur Hochepaix !

Hochepaix entre et s’arrête sur le pas de la porte, un peu hésitant.

Ventroux, sans même tourner la tête et d’un ton détaché. — Entrez !

Hochepaix, s’avançant. — Pardon !

Ventroux, sur le même ton, à Victor. — Laissez-nous ! (Tandis que Victor, après avoir jeté sur son maître un regard d’étonnement, quitte la pièce.Sur un ton froid et dédaigneux, à Hochepaix.) Seyez-vous, je vous prie !

Hochepaix — Mon cher député !…

Ventroux, l’arrêtant du geste. — Oh !… "cher" !

Hochepaix — Pourquoi donc pas ?

Ventroux, sur un ton pincé. — Après la campagne que vous avez menée contre moi !…

Hochepaix. — Oh ! oh ! "la campagne" !

Ventroux. — Vous m’avez traité partout de vendu ! de pourri ! de mouchard ! de résidu de la décadence !

Hochepaix, vivement en étendant les mains comme pour enserrer celles de Ventroux. — Ça n’enlève rien à l’estime, croyez-le bien !

Ventroux, caustique. — Ah ! très touché !

En voyant Hochepaix qui esquisse le mouvement de s’asseoir, il fait mine de s’asseoir aussi mais se redresse aussitôt, en voyant qu’Hochepaix s’est arrêté dans son mouvement.

Hochepaix. — Qu’est-ce que vous voulez ! je l’avoue, vous n’étiez pas mon candidat !

Il fait mine de s’asseoir.

Ventroux. — Je m’en suis aperçu.

Il fait mine de s’asseoir mais se redresse en voyant qu’Hochepaix ne s’est pas assis.

Hochepaix. — Ben ! oui, mon homme à moi, c’était le marquis de Berneville.

Ventroux, avec un rire pincé. — Mais c’est votre droit !

Hochepaix. — Vous comprenez : c’est un vieil ami à moi ; il est socialiste unifié, comme moi ! Ajoutez à cela que c’est lui qui a tenu ma fille sur les fonts baptismaux…

Ventroux. — Vous m’en direz tant.

Hochepaix. — Enfin, un tas de raisons ! (Faisant mine de s’asseoir et se redressant aussitôt ; même jeu de la part de Ventroux.) Sans compter celle-ci, qu’il est plusieurs fois millionnaire et que l’intérêt de mes administrés !… Vous devez comprendre, n’est-ce pas ?…

Ventroux. — Mais, je vous en prie, ne vous défendez pas !

Hochepaix. — D’autant qu’en somme c’est vous qui avez été élu.

Ventroux. — Ce qui pour moi est l’important.

Hochepaix. — Evidemment ! (Même jeu de faire mine de s’asseoir et de se relever aussitôt chez les deux hommes.) D’ailleurs tout ça, c’est du passé ! Il n’y a plus ici un candidat et un électeur, mais le maire de Moussillon-les-Indrets qui vient trouver amicalement son député pour lui soumettre un desideratum de ses administrés et le prier de s’y intéresser auprès du ministre compétent. Je n’ai pas douté un instant de votre bon accueil.

Ventroux. — Et vous avez raison ! (Face à lui, dos au public.) La meilleure preuve, c’est que je disais tout à l’heure à madame Ventroux…

Hochepaix. — Oh ! pardon ! Je ne vous ai pas demandé de ses nouvelles. Est-ce que je n’aurai pas le plaisir de lui être présenté ?

Ventroux, s’écartant, de façon à être no 2. — Oh ! vous tombez mal ! ma femme est en train de s’habiller ; et, vous savez, quand les femmes sont à leur toilette, ça dure longtemps !

Hochepaix, gagnant la gauche. — Oh ! c’est dommage !

Voix de Clarisse — Ah ! vous trouvez que vous avez enlevé les tasses !… vous trouvez que vous avez enlevé les tasses !

Ventroux, remontant à la voix de Clarisse et parlant aussitôt sur elle. — Ah ! bien, non, tenez ! je la calomniais ! j’entends sa voix. (Redescendant.) Déjà prête ! c’est un miracle !

Hochepaix. — Oh ! bien, je serai enchanté…



Scène VI

Les mêmes, Clarisse, Victor

Clarisse, toujours dans la même tenue que précédemment, surgissant du vestibule, suivie de Victor ; elle va droit au petit guéridon. — Oui, eh bien ! venez voir comme vous avez enlevé les tasses !

Ventroux, se retournant tout en parlant. — Ma chère amie, je… (Apercevant la tenue de sa femme.) Ah !

Clarisse, sursautant au cri de Ventroux et, instinctivement, pirouettant sur elle-même pour se sauver ; elle donne ainsi contre le canapé sur lequel elle tombe à genoux. — Ah !… Oh ! Tu m’as fait peur !

Ventroux, se précipitant vers elle et entre chair et cuir. — Nom d’un petit bonhomme ! veux-tu fiche le camp ! veux-tu fiche le camp !

Clarisse, étonnée et en se remettant debout. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Ventroux. — Tu n’es pas folle ? Tu viens ici en chemise quand j’ai du monde ?

Clarisse, à Hochepaix, par-dessus l’épaule de Ventroux. — Oh ? pardon, Monsieur ! je n’avais pas entendu sonner !