Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/40

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Hochepaix, avec désinvolture.- Oh ! ben !…

Ventroux. — Monsieur Hochepaix, ne croyez pas un mot de tout ça ! C’est une plaisanterie ! "Le dernier des chameaux ! " Vous ne supposez pas que j’aie jamais dit !…

Hochepaix. — Bah ! laissez donc ! je vous ai bien traité de vendu, de pourri, de résidu de la décadence !

Ventroux. — Oui, je sais bien ! je serais en droit ! mais tout de même !… C’est comme ma femme, je vous prie de l’excuser ; vraiment elle s’est présentée d’une façon !…

Hochepaix, très talon rouge. — Mais… tout à son avantage !

Ventroux. — Vous êtes trop galant ! N’empêche, croyez bien, qu’elle n’a pas l’habitude de traîner dans cette tenue ; mais, véritablement, aujourd’hui, il fait si chaud, n’est-ce pas ? elle est presque excusable ! Vous avez senti ses mains, vous avez pu voir !…

Hochepaix. — Oui, oui !

Ventroux. — D’ailleurs, moi-même !… tâtez les miennes ! (Lui manipulant la main entre les deux siennes.) elles sont tout en moiteur !

Hochepaix — Ah ! oui !… oui !

Ventroux. — C’est très désagréable !…

Hochepaix, achevant de s’essuyer et avec conviction. — Très désagréable, en effet !

Ventroux. — Alors, naturellement, ma femme… comme elle avait trop chaud ; elle a… elle a éprouvé le besoin de se mettre en… en… comment dirais-je ?… Mon Dieu, il y a pas deux mots : en… en chemise.

Hochepaix. — Ah ! comme je la comprends !

Ventroux. — N’est-ce pas ? (Remontant.) N’est-ce pas ?

Hochepaix. — Si je pouvais en faire autant !

Ventroux, se retournant et sans réfléchir. — Faites donc ! je vous en prie !

Hochepaix. — Hein ? Ah ! Non !… non ! vraiment, tout de même !…

Ventroux, redescendant. — Oui ! Oui ! évidemment !… Et alors, n’est-ce pas ? comme elle n’avait pas entendu sonner, naturellement… elle est entrée.

Hochepaix. — Mais voyons !

Ventroux. — Elle se croyait seule.

Hochepaix, sournoisement, et comme la chose la plus naturelle du monde. — Mais c’est évident !… avec le domestique.

Ventroux, répétant après lui sans réfléchir à ce qu’il dit. — Avec le dom… (Interloqué.) Ah ! oui, le… le domestique… (Voulant se donner l’air dégagé.) Ah ! mais le domestique, ça, vous pensez bien que… que… il y a une raison.

Hochepaix. — Je pense bien, voyons !

Ventroux. — Ce serait un domestique ordinaire, évidemment !…

Hochepaix. — Evidemment, ce serait un domestique ordinaire !…

Ventroux. — Mais là !… Ils ont été élevés ensemble.

Hochepaix. — Vous m’en direz tant.

Ventroux, avec aplomb. — C’est… c’est son frère de lait ! (Répétant.) Son frère de lait.

Hochepaix, approuvant. — Son frère de lait.

Ventroux. — Alors, n’est-ce pas, un frère de lait !…

Hochepaix, remontant à gauche de la table. — Ça ne compte pas, parbleu !

Ventroux. — C’est ce que je dis : ça ne compte pas !… Ça ne… (Pressé de faire diversion.) Et alors, voyons, de quoi s’agit-il ? parce qu’enfin tout ça, c’est des balivernes ! Qu’est-ce que vous venez me demander pour vos administrés ?

Tout en parlant il s’assied à droite de la table.

Hochepaix, s’asseyant en face de lui. — Eh bien, voilà ! c’est à propos de l’express de Paris, n’est-ce pas ? qui s’arrête à Morinville et qui brûle Moussillon-les-Indrets… qui est un centre au moins aussi important.

Ventroux, approuvant. — Mais comment !

Hochepaix. — Alors, voilà : mes bonshommes se sont mis en tête d’obtenir que l’express s’arrête à notre station.

Ventroux, hochant la tête. — Ah ! diable ! c’est difficile !

Hochepaix, sans se déconcerter. — Ne dites pas ça ! On a eu deux fois l’occasion de constater que c’était possible.

Ventroux. — L’express s’est déjà arrêté ?

Hochepaix. — Deux fois !… Une fois à la suite d’un déraillement ; une autre, après un sabotage.

Ventroux. — Ah ?

Hochepaix. — Eh bien ! ça n’a pas dérangé grand’chose dans le service.

Ventroux. — Evidemment… c’est un argument.

Hochepaix. — Seulement, n’est-ce pas ? ce sont des éventualités qui n’arrivent pas assez régulièrement, pour que nos voyageurs puissent se baser là-dessus.

Ventroux. — Oui !… Vous préféreriez un arrêt réglementaire. Ecoutez ! Je veux bien m’en occuper ! Vous me rédigerez un petit exposé de tout ça ! En attendant, pour ne pas oublier, je vais toujours prendre note… (Tout en parlant, il a pris le bloc-notes ; écrivant.) Nous disons : Monsieur Ho-che-paix !

Hochepaix, qui s’est levé, et suit des yeux ce qu’il écrit. — C’est ça ! C’est ça ! (Brusquement et vivement.) Ah ! non ! non !… paix : (Epelant.) p-a-i-x !

Ventroux, confus. — Oh ! je vous demande pardon ! (Corrigeant.) p-a-i-x ! p-a-i-x ! Croyez bien que c’est sans intention !

Hochepaix — Il n’y a pas de mal ! Je suis habitué ! C’est la première orthographe qui vient tout de suite à l’idée.

Ventroux, facétieux. — Comme la plus naturelle !

Hochepaix — Oui ! Oui !

A ce moment on entend un bruit de voix mêlé de chocs d’objets derrière la porte du vestibule. On entend vaguement cet échange de dialogue à la cantonade entre Clarisse et Victor : "Là ! Là ! passez-moi la bouillotte ! — Voilà ! voilà, Madame ! — Ah ! mais tenez-moi ! ne me lâchez pas ! pas de bêtise ! — Je tiens, Madame ! je tiens !…" etc., etc.

Ventroux, qui a prêté l’oreille, parlant sur le dialogue extérieur.- Non, mais, qu’est-ce que c’est que ce potin ? Vous croyez qu’on peut être tranquille un instant ? (Allant brusquement tirer la porte qui s’ouvre à deux battants.) Enfin, qu’est-ce encore ? {{didascalie|(Apercevant, perchée sur le sommet d’un escabeau, sa femme dont le haut du corps disparaît derrière le dessus de la porte, tandis que Victor, le corps arc-bouté, les jambes chevauchant les premières marches de