Page:L’Illustration théâtrale, année 8, numéro 203, 17 février 1912.djvu/39

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Hochepaix, galant. — Mais, Madame, je ne me plains pas !

Ventroux, reculant un peu, pour donner libre cours à ses gestes d’indignation. — Tu n’as pas honte ! te montrer comme ça, avec un domestique à tes trousses !

Clarisse, à mi-voix à Ventroux, et sur le ton le plus naturel. — Mais non, c’est parce que Victor n’avait pas enlevé les tasses. (A Victor.) Tenez, mon garçon, regardez comme vous avez enlevé les tasses.

Ventroux, hors de ses gonds. — Mais, je m’en fous des tasses. (A Victor.) Voulez-vous me foute le camp, vous !

Il le pousse dehors.

Victor. — Oui, Monsieur !

Clarisse, descendant vers Hochepaix pendant que Ventroux exécute son jeu de scène avec Victor. — Oui, parce que je ne sais pas si vous êtes comme moi, Monsieur ? mais quand je vois des tasses…

Ventroux, sautant sur sa femme et la faisant passer au no3. — Oui, oui, c’est bon ! Allez ! hop ! hop ! va-t-en !

Clarisse, roulée pour ainsi dire dans les bras de Ventroux qui la pousse vers la porte du fond. Se dégageant. — Ah ! mais je t’en prie, ne me parle pas comme ça ! Je ne suis pas un chien !

Ventroux, remontant en s’arrachant les cheveux, dos au public.- Oh !

Clarisse. — C’est vrai ça ! (Changeant brusquement de physionomie et très aimable, à Hochepaix en descendant vers lui tandis que Ventroux renferme la porte du fond.) Monsieur Hochepaix sans doute ?

Hochepaix — Oui, Madame, oui !

Ventroux, se retournant abasourdi par l’inconscience de sa femme. — Quoi ?

Clarisse, très maîtresse de maison. — Enchanté, Monsieur ! Asseyez-vous donc, je vous en prie !

En ce disant, elle s’assied à droite de la table, tandis qu’Hochepaix s’assied à gauche et face à Clarisse.

Ventroux, courant à sa femme. — Ah ! non, non ! tu n’as pas la prétention de recevoir dans cette tenue !

Clarisse, sans se déconcerter, se levant. — Oh ! En effet ! C’est un peu incorrect !

Ventroux, au public, en haussant les épaules. — Incorrect !

Clarisse. — Mais vraiment il fait si chaud ! (Appliquant ses deux mains à plat sur le dos des deux mains de Hochepaix que celui-ci a sur la table.) Tenez, tâtez mes mains, si j’ai la fièvre !

Ventroux, écartant de grands bras. — C’est ça ! c’est ça ! tu vas recommencer comme avec Deschanel !

Clarisse, toujours ses mains sur celles de Hochepaix, son buste ainsi penché par dessus la table. — Mais quoi ? c’est ses mains ! c’est pas ses cuisses !

Hochepaix. — Comment ?

Clarisse. — Pour lui montrer combien les miennes sont brûlantes.

Hochepaix, ahuri, se méprenant. — Vos c… ?

Clarisse, comprenant aussitôt la confusion de Hochepaix et corrigeant vivement. — Mes mains ! mes mains !

Hochepaix. — Ah !

Ventroux, saisissant sa femme par le bras et l’envoyant no 3. — Oui ! Eh bien ! il s’en fiche, M. Hochepaix ! il s’en fiche de tes mains.

Hochepaix, vivement, très galant. — Mais pas du tout !

Clarisse, en se frottant son bras meurtri par la brutalité de son mari. — Là, tu vois !

Ventroux, éclatant et en marchant sur sa femme de façon à la faire remonter. — Oui ! Eh ! bien, en voilà assez ! je te prie de t’en aller !

Clarisse, tout en remontant. — C’est bien ! c’est bien ! mais alors c’était pas la peine de me demander d’être aimable.

Ventroux, redescendant. — Eh ! qui est-ce qui te demande d’être aimable ?

Clarisse. — Comment qui ? Mais toi ! toi ! C’est toi qui m’as bien recommandé : "Et si tu vois M. Hochepaix…"

Ventroux, flairant la gaffe, ne faisant qu’un bond vers sa femme, et vivement à voix basse. — Oui ! bon ! bon ! Ça va bien !

Clarisse, sans merci. — Il n’y a pas de : "Bon, bon ! ça va bien ! " (Poursuivant) "… Je te prie au contraire d’affecter la plus grande amabilité !… "

Ventroux, allant protester vers Hochepaix. — Moi ! Moi ! mais jamais de la vie ! jamais de la vie !

Clarisse, de même. — C’est trop fort ! tu as même ajouté : "Ça a beau être le dernier des chameaux…"

Ventroux, avec le mouvement du corps d’un monsieur qui recevrait un coup de pied quelque part. — Oh !

Hochepaix — Ah ?

Clarisse, poursuivant sans pitié. — "… n’empêche que c’est un gros industriel qui occupe de cinq à six cents ouvriers, il est bon de se le ménager ! "

Ventroux, parlant en même temps que Clarisse et de façon à couvrir sa voix. — Mais non ! mais non ! Mais jamais de la vie ! jamais de la vie je n’ai parlé de ça ! Monsieur Hochepaix ! vous ne croyez pas, j’espère ?…

Hochepaix, indulgent. — Ah ! bah ! quand vous auriez dit !…

Ventroux. — Mais non ! mais non !

Clarisse, par dessus l’épaule de son mari. — Monsieur Hochepaix ! J’espère que vous me faites l’honneur de me croire ?

Ventroux, au comble de l’exaspération, virevoltant vers sa femme. — Ah ! et puis, toi, tu m’embêtes ! (Lui désignant la porte.) Allez, fous-moi le camp ! Fous-moi le camp !

Clarisse, tout en remontant. — Ah ! mais dites donc ! je te prie de me parler autrement !

Ventroux, n’admettant plus de réplique. — Allez ! allez ! débarrasse le plancher !

Clarisse, obéissant tout en voulant avoir raison. — Oui, mais quant à dire que tu n’as pas dit…

Ventroux, de même. — Allez ! hop ! hop ! file !

Clarisse. — Il n’y a pas de "hop ! hop ! " Si tu ne sais plus ce que tu dis !

Ventroux, la poussant dehors. — Mais vas-tu filer à la fin !

Clarisse, effrayée, se sauvant. — Oh !

Ventroux, referme violemment la porte et redescend ; exaspéré. — Oh !

A peine est-il redescendu que la porte se rouvre.

Clarisse, redescendant dans le dos de Ventroux. — Je ne vous ai pas dit au revoir, monsieur Hochepaix ! très heureuse !…

Hochepaix, s’inclinant. — Madame !

Ventroux, pirouettant sur lui-même à la voix de sa femme, et s’élançant sur elle comme s’il allait lui donner un coup de pied quelque part. — Mais, nom de d’là, veux-tu !…

Clarisse, détalant, effrayée. — Oh !… mais je dis au revoir, voyons !

Ventroux, lui ferme brutalement la porte dans le dos, après quoi il reste un instant comme abruti par les émotions, se prend le front comme pour l’empêcher d’éclater, puis descendant vers Hochepaix qui est devant la table. — Je suis indigné, Monsieur ! je suis indigné !