Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/187

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maintenant, ô puissant Alcinoüs, apprendre tout ce que j'ai souffert : il faut donc que je soupire encore et que je verse des torrents de larmes ! Que vais-je d'abord te raconter, et comment ensuite vais-je terminer mon récit ; car les divinités célestes m'ont accablé de douleurs sans nombre ? — Phéaciens, je commencerai par vous dire mon nom afin que vous le connaissiez tous. Si j'échappe à la triste destinée, je veux encore être votre hôte lors même que j'habiterai des demeures lointaines. Je suis le fils de Laërte, Ulysse, qui, par mes ruses diverses, me suis fait connaître à tous les hommes, et dont la gloire est montée jusqu'au ciel. J'habite Ithaque aux rivages élevés[1], Ithaque qui possède une haute montagne ombragée d'arbres, le Nérite qu'on aperçoit au loin, Ithaque entourée des îles de Dulichium, de Samé et de la verdoyante Zacynthe, îles nombreuses et rapprochées entre elles. Ithaque est située bien avant dans la mer et elle est la plus rapprochée du couchant (car les autres îles sont au levant et au midi) ; cette terre est hérissée de rochers, mais elle nourrit une vigoureuse jeunesse. Je ne puis voir nulle part d'autres lieux qui me soient plus doux que ma patrie ! — Calypso, la plus noble des déesses, m'a retenu longtemps dans sa grotte profonde (désirant avec ardeur que je devinsse son époux). L'astucieuse Circé, la reine de l'île d'Ea, m'a aussi retenu dans son palais, pour que je partageasse sa couche ; mais aucune d'elles n'a pu toucher mon cœur. Non, rien n'est plus cher à l'homme que sa patrie et ses parents ; quand bien même il habiterait, loin de sa famille, une riche demeure sur une terre étrangère ! — Mais puisque tu le désires, ô roi puissant, je te raconterai toutes les infortunes que par la volonté de Jupiter je supportai pendant mon triste voyage, lorsque j'abandonnai la ville de Troie.

  1. Homère dit : Ἰθάκην ἐυδείελον· (vers 21). Pour l'explication du mot ἐυδείελος, nous adoptons l'explication de Buttmann ; d'après lequel auteur ce mot signifie bien clair, bien distinct, visible au loin, et s'applique particulièrement à l’île d'Ithaque : parce que les îles bien dessinées ou encadrées par la mer se découvrent aisément au loin. D'autres auteurs, tels que les traducteurs de Strabon, les petites scholies et Dugas-Montbel, le traduisent par occidental, Voss dit : Ithaka's sonnige Hohen (les hauteurs d'Ithaque exposées au soleil) ; Clarke le traduit par apricus, et Dubner par late-conspicuus.