Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/196

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» Le lendemain, aux premiers rayons du jour, le Cyclope allume de nouveau son bois desséché, trait ses superbes troupeaux, dispose tout avec ordre et rend ensuite les agneaux à leurs mères. Quand il a terminé ces apprêts, il saisit deux autres de mes compagnons et les dévore. Puis le monstre chasse hors de l'antre ses grasses brebis ; il enlève sans effort la roche immense de la porte, et il la remet ensuite aussi facilement qu'il aurait placé le couvercle d'un carquois. Le Cyclope, en faisant entendre de longs sifflements, conduit ses grasses brebis sur les montagnes ; et moi, je reste seul dans la grotte, méditant la vengeance, si toutefois Minerve veut encore me protéger.

Parmi tous les projets qui se présentent à mon esprit, celui-ci me semble préférable : — Le Cyclope avait placé dans l'étable l'énorme tronc d'un verdoyant olivier qu'il avait coupé pour lui servir de bâton quand cet arbre serait desséché ; nous le comparions, nous, au mât d'un navire sombre et pesant, garni de vingt rames, d'un de ces navires qui sillonnent l'immensité des mers, tant ce tronc était gros et long. J'en coupe une brasse[1] et je donne cette partie à mes compagnons en leur commandant de la dégrossir ; ceux-ci la rendent unie, moi je la taille en pointe, et je l'endurcis encore en l'exposant à la flamme étincelante ; puis je la cache avec soin sous du fumier amoncelé dans la grotte. J'ordonne ensuite à mes compagnons de tirer au sort pour savoir ceux qui, avec moi, plongeront ce pieu dans l'œil du Cyclope[2], quand le monstre goûtera les charmes du repos. Les quatre guerriers que désigne le sort sont ceux-là même que j'aurais voulu choisir ; et moi je suis le cinquième. — Vers le soir le géant revient en conduisant ses brebis à la belle toison ; il pousse dans la grotte ses troupeaux, et il n'en laisse aucun dehors, soit par défiance, soit qu'un dieu l'eût voulu ainsi. Il soulève l'énorme roche, la replace à l'entrée de sa

  1. C'est-à-dire : « J'en ai coupé une partie égale par la longueur à l'espace compris entre mes deux bras étendus. » Ce passage n'a été rendu littéralement que par les traducteurs latins et allemands.
  2. Quoique Homère emploie toujours le mot ὀφθαλμὁς (œil) au singulier, il n'est pas démontre que les Cyclopes n'eussent qu'un œil ; car certains critiques anciens font, observer que le poète parle au pluriel des paupières et des sourcils de Polyphème.