Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/211

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« Fuis promptement de cette île, toi le plus misérable de tous les mortels ! Il ne m'est point permis de secourir ni de favoriser le départ d'un homme que les dieux fortunés haïssent ! Fuis donc, puisque tu es revenu en ces lieux poursuivi par la colère des immortels ! »

» Il dit ; et, malgré mes gémissements, il me renvoie de son palais. Alors nous nous éloignons tous de l'île accablés par la plus grande douleur. Ce pénible voyage, causé par notre imprudence, épuise les forces de mes compagnons ; et le retour dans notre patrie disparaît à nos yeux.

» Durant six jours et six nuits nous errons sur la mer ; mais le septième jour nous apercevons la haute ville de Lamus, la spacieuse Lestrygonie[1]. Là, le berger, rentrant avec ses troupeaux, appelle un autre berger qui, répondant à la voix de son compagnon, s'empresse de sortir avec ses troupeaux et de les conduire dans les campagnes. Là, un homme qui saurait vaincre le sommeil gagnerait un double salaire s'il menait paître tour à tour les bœufs et les blanches brebis ; car les voies de la nuit et du jour se touchent[2]. — Nous atteignons un port superbe qu'entoure de

  1. Dans le texte de Wolf, le mot Τηλέπυλον (vers 82) est avec, un petit t, et, dans le texte suivi par Clarke, ce mot est avec un grand T ; mais nous adoptons les corrections de Wolf, la traduction de Dubner, et nous traduisons Τηλέπυλον Λαιστρυγονίην (vers 82) par la grande Lestrygonie. Dugas-Montbel dit Lestrygonie aux larges portes ; mais cet auteur aurait dû, ce nous semble, suivre la note qu'il a faite à ce sujet dans ses Observations, car τῆλε voulant dire loin, et πύλη porte, il faut dire alors dont les portes sont éloignées lus unes des autres, ou dont l'enceinte est grande, Voss, dans sa traduction de l’Odyssée, fait à tort de Τηλέπυλον un substantif, et dit : die vesteder Lestrygonen, Lamos, stadt Telepylos (la citadelle des Lestrygons, Lamos, ville de Telepylos).
  2. Ce passage, disent les savants auteurs du Dictionnaire des Homérides (p. 67), a été diversement entendu ; parmi les anciens interprétateurs, les uns l'entendaient du lieu (τοπικῶς), dans ce sens que les pâturages où l'on menait les troupeaux la nuit étaient près de ceux où on les menait le jour, c'est-à-dire également dans le voisinage de la ville. Ainsi, selon eux (Eustathe, par exemple), c'était à cause de cette proximité qu'un pâtre qui se serait passé de sommeil aurait pu aisément gagner double salaire, en faisant paître le jour les brebis et la nuit les bœufs, selon l'usage de ce temps-là. Selon les autres et Cratès est de ce nombre), cette proximité des voies de la nuit et du jour n'est qu'une expression figurée pour indiquer la brièveté