Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/235

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« Tirésias, telle est donc la destinée que m'ont réservée les dieux éternels. Cependant parle-moi encore avec sincérité. J'aperçois l'ombre de ma mère, de ma mère morte pendant mon absence ; elle se tient silencieuse près du sang, et quoiqu'en présence de son fils elle n'ose ni le regarder, ni lui adresser la parole. Dis-moi donc, ô roi, comment elle pourra me reconnaître. »

» Tirésias réplique en ces termes :

« Je puis facilement te répondre, et je veux que mes paroles se gravent dans ton esprit. Les ombres que tu laisseras approcher du sang te diront la vérité ; mais celles que tu repousseras s'éloigneront de toi sans proférer un seul mot. »

» L'âme du roi Tirésias, après m'avoir prédit l'avenir, retourne dans les sombres demeures de Pluton. Moi je reste immobile sur les bords du fossé jusqu'au moment où ma mère arrive et boit le sang noir. Soudain elle me reconnaît, et m'adresse en gémissant ces rapides paroles :

« Ô mon fils, comment es-tu descendu vivant dans cet obscur séjour ? Il est difficile aux vivants de découvrir ces tristes demeures ; car pour y arriver il faut franchir des fleuves immenses, des courants impétueux, et surtout les eaux de l'Océan qu'on ne peut traverser à moins que l'on ne possède un solide navire. Viens-tu d'Ilion après avoir erré longtemps sur les flots avec tes compagnons ? Est-ce que tu n'as pas encore été à Ithaque, ni revu dans ton palais ta chaste épouse ? »

» Je lui réponds aussitôt :

« Ô ma mère, la nécessité seule m'a conduit dans les demeures de Pluton pour consulter l'âme du Thébain Tirésias. Non, je ne suis point encore rentré dans l'Achaïe, et je n'ai point revu les lieux de ma jeunesse ; mais, en proie à de grandes souffrances, j'erre sans cesse depuis le jour où j'ai suivi le divin Agamemnon marchant vers Ilion fertile en coursiers, afin de combattre les Troyens. Mais parle-moi donc sincèrement. Quelle destinée t'a soumise à l'éternel sommeil de la mort ? Est-ce une longue maladie ? ou bien Diane, qui se plaît à lancer les traits, t'a-t-elle percée de ses douces flèches ? Parle-moi de mon père et du fils que j'ai laissés ; dis-moi si mes dignités leur appartiennent.