Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/51

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moi du moins un navire rapide et vingt compagnons [1] pour me conduire de tous côtés sur la vaste mer. Je veux aller à Sparte et dans la sablonneuse Pylos m'informer du retour de mon père éloigné depuis si longtemps. Quelque mortel m'instruira sans doute de ces choses, ou j'entendrai la voix de Jupiter, laquelle apporte aux hommes la célébrité. Si j'apprends qu'Ulysse existe encore et qu'il doit revenir, je l'attendrai, malgré mes chagrins, durant une année entière ; si, au contraire, j'apprends qu'il a péri et qu'il n'y a plus d'espoir, je reviendrai dans ma chère patrie pour lui ériger un tombeau. Je célébrerai en l'honneur d'Ulysse de pompeuses funérailles, et je donnerai un époux à ma mère. »


À ces mots il s'assied. Soudain se lève Mentor, compagnon du valeureux Ulysse : quand ce héros partit sur ses navires, il lui confia le soin de sa maison, le chargea d'obéir à son vieux père et de surveiller tous ses biens. Mentor, plein de sagesse, prend la parole et dit :

« Ithaciens, écoutez-moi. Qu'aucun roi chargé du sceptre ne soit maintenant ni juste, ni clément ; qu'il ne conserve plus en son âme de nobles pensées ; mais qu'il devienne cruel et n'accomplisse que des actions impies, puisque nul ne se ressouvient du divin Ulysse, même parmi ce peuple qu'il gouverna comme le père le plus tendre ! Je n'accuse pas les fiers prétendants de commettre des actes de violence méchamment inspirés par leur esprit ; car ils risquent leur propre tête en dévorant forcément les biens d'Ulysse, quoiqu'ils espèrent ne voir jamais ce héros de retour. Mais c'est contre le peuple que je suis indigné ! Il reste assis et silencieux, et, malgré son nombre immense, il n'ose réprimer, par ses discours, cette faible troupe de prétendants ! »


Léocrite, fils d'Evénor, lui répond aussitôt :

« Dangereux Mentor, faible insensé ! Quoi, tu oses exciter le

  1. Ἀλλ’ ἄγε μοι δότε νῆα θοὴν καὶ εἴκοσ’ ἑταίρους, dit Homère. Tous les traducteurs français passent sous silence le mot θοός (rapide), et traduisent ἑταίροι (compagnons) par rameurs. Les traducteurs latins ont rendu très correctement ce passage par : sed age, mihi date navem CELEREM et viginti SOCIOS.