Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/91

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ses propres yeux son frère ou son fils chéri périr par l'airain. Tel est le baume salutaire, préparé avec art, que possède Hélène, la fille du puissant Jupiter ; elle le reçut de l'Égyptienne Polydamna, l'épouse de Thonis. C'est en Égypte que la terre féconde produit de nombreuses plantes : les unes excellentes, les autres pernicieuses. C'est en Égypte aussi que chaque homme possède la science de guérir, parce qu'ils sont tous issus du divin Péon[1]. Quand Hélène a jeté ce breuvage dans le cratère et ordonné aux serviteurs de verser le vin, elle prononce ces paroles :


« Ménélas, fils d'Atrée, roi chéri de Jupiter, et vous, enfants de héros valeureux (le dieu fils de Saturne nous envoie tour à tour le bien et le mal, car il peut tout), prenez maintenant le repos et goûtez, assis dans vos palais, le charme des doux entretiens. Je vais vous raconter une aventure intéressante. Je ne pourrai vous rappeler ni vous énumérer tous les hauts faits d'Ulysse à l'esprit audacieux ; mais du moins je vous entretiendrai d'une seule entreprise que tenta ce héros courageux et qu'il accomplit au milieu du peuple des Troyens, où vous, Achéens, avez souffert tant de maux. — Un jour Ulysse, après s'être meurtri le corps de coups ignominieux, jette sur ses épaules de vils haillons, et, semblable à un esclave, il entre dans la cité aux larges rues de ses ennemis. Ulysse, ainsi déguisé, ressemblait à un tout autre homme, à un mendiant ; et il n'était plus ce héros venu jadis sur les navires achéens[2]. Sous ce costume il pénètre dans la ville de Troie, et tous ignoraient que ce fût Ulysse ; moi seule je le reconnus et je l'interrogeai ; mais par ruse sans doute il évita de me répondre. Dès que je l'eus baigné, parfumé d'huile et recouvert

  1. Le divin Péon (Παιὠν) était un célèbre médecin originaire d'Égypte, qui guérit jadis toutes les divinités de l'Olympe et fut ensuite adoré dans quelques contrées comme le dieu de la médecine.
  2. Dugas-Montbel a commis un non-sens en changeant le sujet de cette phrase et en faisant rapporter le verbe ἔην (vers 248) à mendiant, et non à Ulysse. Ainsi cet auteur dit: « On l'eût pris (Ulysse) pour un véritable men­diant tel qu'il n'en parut jamais sur les vaisseaux des Grecs, » tandis qu'il faut traduire ce passage comme nous l'avons fait plus haut. La note de Dugas-Montbel, dans ses Observations sur l'Odyssée, n'a nullement rap­port à ce contre-sens ; elle ne fait seulement qu'expliquer le mot δέχτη (vers 248) (mendiant), qui a été pris à tort pour un nom propre par quelques interprétateurs. Nous nous sommes conformé au texte de Voss, ainsi conçu : so wie er wahrlich nicht im achœischen Lager einherging ( Ulysse ne marchait point comme mendiant dans le camp des Achéens.) Nous avons encore pour nous les textes latins de Clarke et de Dubner.