ADVERTISSEMENT AV LECTEVR
PAR
M. DE MONTAIGNE
LECTEVR, tu me dois tout ce dont tu iouis de feu M. Eſtienne de la Boëtie : car ie t’aduiſe que quant à luy, il n’y a rien icy qu’il euſt iamais eſperé de te faire voir, voire ny qu’il eſtimait digne de porter ſon nom en public. Mais moy qui ne ſuis pas ſi hault à la main, n’ayant trouvé autre choſe dans ſa Librairie, qu’il me laiſſa par ſon teſtament, ancore n’ay-ie pas voulu qu’il ſe perdiſt. Et, de ce peu de iugement que i’ay, i’eſpere que tu trouveras que les plus habiles hommes de noitre ſiecle font bien ſouvent feſte de moindre choſe que cela : i’entens de ceux qui l’ont prattiqué plus ieune, car noſtre accointance ne print commencement qu’environ ſix ans avant ſa mort, qu’il avoit faict force autres vers Latins & François, comme ſous le nom de Gironde, & en ay ouy reciter des riches lopins. Meſme celuy qui a eſcrit les Antiquitez de Bourges en allegue, que ie recognoy : mais ie ne ſçay que tout cela eit devenu, non plus que ces Poëmes Grecs. Et à la verité, à meſure que chaque faillie luy venoit à la teſte, il ſ’en dechargeoit ſur le premier papier qui luy tomboit en main, ſans autre ſoing de le conſerver. Aſſeure toy que i’y ay faict ce que i’ay peu, & que, depuis ſept ans que nous l’avons perdu, ie n’ay peu recouvrer que ce que tu en vois, ſauſ vn Diſcours de la