Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/252

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ſa femme en preſence de ſa fille. Cela fut, poſſible, vn peu rigoureux ; mais ſi cela eſt deshonneſte, comme il eſt, d’embraſſer, de ſ’entrebaiſer, de ſ’entracoller, quand il y a des eſtranges, comment ne ſeroit il deshonneſte, quand il y a des gents, de ſ’outrager & 5 d’auoir different enſemble ? Et comment ſe peut il faire que les careſſes & les accueils ſe ſacent en ſecret & à part, & qu’il ſoit bien ſeant d’vſer d’auertiſſemens, de plaintes, de rigoureux langage tout à clair & à deſcouuert ? 10

XIII. Comparaiſon de la femme à un miroir. Tout ainſi qu’vn miroir, enrichy d’or & de pierrerie, ne ſert à rien ſ’il ne repreſente noſtre forme ſemblable, de meſmes il n’y a plaiſir aucun d’auoir vne femme riche, ſi elle ne rend ſa vie pareille à ſon mary, & ſes complexions accordantes. 15

XIV. Si vn miroir preſente triſte la face d’vn homme ioyeux, & ioyeuſe & riante la face d’vn homme deſpit & melancholique, il eſt mauuais & ne vaut rien ; & la femme eſt mal auenante & de nulle valeur, qui a le viſage refroigné & triſte quand elle voit le mary ayant 20 enuie de rire & le cœur en ioye, & qui ſe rit & fait l’esbaudie voyant ſon mary penſif. Par cela elle ſe monſtre facheuſe, & par cecy nonchallante & dedaigneuſe. Or comme les Geometriens diſent que les lignes & les montres, qu’ils appellent, ne ſe meuuent 25 point d’elles meſmes, mais ſe meuuent auecques le corps, ainſi faut il que la femme n’aye nulle affection pour ſoy toute ſienne, mais qu’elle participe auecques ſon mary de ſon penſement & de ſon esbat, de ſon vouloir & de ſon rire. 30

Ceux qui ne voyent pas volontiers leurs femmes